Enjeux sociétaux, troubles politiques, crise environnementale, représentation du genre… Les photographes publié·es sur nos pages ne cessent de raconter, à travers l’image, les troubles de notre monde. À travers des prismes différents, des angles, des regards, des pratiques variées ils et elles se font les témoins d’une contemporanéité en constante évolution. Ce mois-ci, nous avons souhaité revenir sur une thématique qui prête souvent à débat : la pornographie, sujet parmi les plus tabous dans nos sociétés. Une manière pour les artistes publié·es sur fisheyemagazine.fr de faire intervenir les notions de regard, d’érotisme, de sexualité, de diversité sexuelle et d’identité de genre. Lumière sur trois d’entre elleux : Jo Broughton, Karlo Martinez et Romy Alizée.
Chaque société a sa manière de définir ce qui est pornographique et ce qui ne l’est pas. En Occident, si certain·es maintiennent depuis longtemps que les contenus pornographiques devraient être purement et simplement interdits à la diffusion, le débat se focalise aujourd’hui bien davantage sur la question de leur banalisation. En cause ? La prolifération d’images violentes, qui véhiculent des schémas stéréotypiques concernant les relations sexuelles, voire encouragent des actes dégradants, qui vont à l’encontre du consentement mutuel. Pour beaucoup, il ne s’agirait donc pas d’interdire la pornographie, mais de compléter la loi face à un système sexiste – voire pédocriminel. À une époque où les pouvoirs de l’image sont plus que jamais affirmés, investis, interrogés, décriés, la photographie n’est-elle pas un des moyens privilégiés pour déclencher un débat autour de ces questions ?
Alors qu’elle a 17 ans, Jo Broughton est amenée à travailler, un peu par hasard, dans un studio de films pornographiques. Le soir venu, elle s’amuse parfois à photographier les plateaux désertés : une manière judicieuse de montrer l’envers du décor, et ce à une époque où ce secteur était encore assez déconsidéré et invisibilisé. Empty Porn Sets offre un contraste radical avec l’industrie frénétique de la pornographie telle qu’elle est connue : ne restent que les traces des fantasmes – toujours reflets de désirs collectifs – et de l’acte sexuel lui-même, comme des paysages fantasmagoriques, bon marché, voire grossiers. Jo Broughton interroge ainsi avec pertinence la réalité fabriquée de l’expérience qu’est la pornographie dans son ensemble.
Fasciné par les magazines pornographiques gays, Karlo Martinez réalise l’improbable en faisant de l’art avec de l’architecture et du porno gay, à travers des collages. De manière particulièrement frontale, son travail répond à une tentative de briser, dans les mentalités, le lien fait traditionnellement entre sexualité et immoralité, et entre pornographie et saleté. Karlo Martinez érige ainsi des montages sulfureux à la composition graphique, où tout se joue dans le contraste entre le minimalisme, les lignes épurées, et l’activité sexuelle explicite.
À l’heure où de nombreux géants du X sont pointés du doigt pour des raisons éthiques, Romy Alizée, par ailleurs travailleuse du sexe, apporte dans le milieu la fraîcheur d’un regard féminin. Elle montre qu’il est possible d’aller vers des productions pornographiques plus respectueuses des êtres humains, et qui peuvent consister en des safe spaces pour les performeurs et les performeuses. Plus que la dimension explicite des images, l’artiste – dont le travail fait l’objet par ailleurs d’un épisode Focus – replace au centre des pratiques le respect de la volonté de chacun·e. Son œuvre offre une vision plus globale, fait d’une diversité de corps et de sexualités, mais met surtout en avant un univers et un regard queer lesbien.