Croisant photographie et littérature, Samuel Lebon compose Le Bruit que font les animaux pour mourir. Un ouvrage hybride convoquant le poids des désirs et des doutes, ainsi que la solitude comme pulsion créative.
« Ce journal parlera d’être écrivain ou pas. De n’y être pour personne. Du monde de ceux qui se lèvent tôt. De l’odeur de la cabane au petit matin. Du chant des oiseaux, d’approcher les biches, de finir un livre. » C’est sur ces fragments de pensées – échos lointains venus de l’inspiration d’un homme s’enfonçant dans sa solitude – que s’ouvre Le Bruit que font les animaux pour mourir. À la croisée du livre photographique et littéraire, l’objet s’impose comme un récit profondément personnel, une autofiction immersive dans une nature inspirante. « J’ai toujours écrit à la première personne, mais j’ai vraiment commencé à photographier à la première personne en 2016, pour mon premier carnet intime intitulé Malstrøm, autoédité à deux exemplaires, dans lequel je raconte le moment où ma vie toute tracée s’est disloquée », raconte Samuel Lebon.
Auteur à plusieurs titres, ce dernier s’est révélé en 2018, à l’occasion du festival Planches Contact, où il présentait Satan mène le bal, une « mise en scène d’un récit autofictif à fleur de peau, entre humour noir et poésie », précise-t-il. Habitué à entrelacer image et textes dans chacun de ses projets, l’artiste avoue « ne pas savoir à l’avance comment les deux pratiques vont s’attirer et se repousser, si elles vont se compléter ou si l’une des deux va prendre le dessus ». Comme une toile de fond dont il tire les fils de soie, à la recherche de l’harmonie parfaite. « Aspirant ermite » cherchant une « grotte accueillante », c’est coupé des autres qu’il parvient à faire taire le bruit du monde pour se consacrer à la création. Comme un nouveau souffle, loin de tout désir, de toute tentation.
Comme un oiseau s’écrasant contre une vitre
Une chaise inoccupée, le cadavre d’un oiseau, une tapisserie fleurie, des corps à demi-nus, les yeux fermés, en pleine exaltation – ou levés, en quête de sens. Et puis, comme un dialogue qui épouse les formes d’un autre médium, des bribes de texte. « Il faudra tout réécrire en mieux. » « Me voilà poète. Et pourquoi pas ? Chaque rêve est un poème (…). Et pourquoi ne pas utiliser les photographies de la même manière ? Comme une vision… un rêve. » À la lisière du journal intime, Le Bruit que font les animaux pour mourir s’articule en plusieurs temps, brouille les frontières entre réel et fiction pour mieux nous immerger dans la psyché d’un auteur en pleine remise en question. Là, isolé dans la nature – une décision consciente dans une tentative ultime de se débarrasser de sa libido –, il se confronte au mythe même de l’écrivain (re)devenu sauvage, à la fois débarrassé et obsédé par ses propres pulsions.
« Ramasser des écorces de bouleau séchées.
Écrire dessus.
Allumer un feu. »
Seule une douzaine de photographies remplissent les pages de l’ouvrage. Des compositions symboliques venant illustrer les pensées que Samuel Lebon couche sur le papier. « J’ai voulu poser, de manière poétique, ce combat contre nos pulsions, ce côté animal qu’on tente de cacher derrière un masque ou d’enfouir sous un tas de feuilles », explique-t-il. Au fil des pages, on est confronté·e à une étrange quiétude. Comme si le silence de la forêt adoucissait les mœurs. Assourdie par la pluie qui bruine sur le toit, par le bruit des branches mortes qui craquent sous les pas de l’homme solitaire, sa bataille fait rage en marge. « C’est un événement qui passe relativement inaperçu, comme un oiseau s’écrasant contre une vitre », poursuit l’artiste. En filigrane, il y a la peur de la page blanche, les doutes sur la place que l’on occupe, sur l’empreinte qu’on laisse. Car, pour Samuel Lebon, « l’écriture est un choix osé, un grand pas de côté ». Et si les images lui viennent naturellement, « les mots résistent ». Subtilement contrasté, le livre parvient à convoquer cette dichotomie. Au lâcher-prise des clichés se heurtent les entrées littéraires entravées par le doute. Une respiration fragmentée qui, lorsqu’elle s’unifie encapsule parfaitement les collisions des médiums, comme les turbulences de la création.