Enjeux sociétaux, troubles politiques, crise environnementale, représentation du genre… Les photographes publié·es sur nos pages ne cessent de raconter, à travers l’image, les troubles de notre monde. À travers des prismes différents, des angles, des regards, des pratiques variées ils et elles se font les témoins d’une contemporanéité en constante évolution. Ce mois-ci, nous avons souhaité revenir sur la notion de passage à l’âge adulte, et cette période si particulière de la vie humaine qu’est l’adolescence. Une manière pour les artistes publié·es sur fisheyemagazine.fr de faire intervenir les notions de puberté, de discontinuité et de vulnérabilité. Lumière sur quatre d’entre elleux : Deanna Templeton, Charlotte Abramow, Bérangère Fromont et Barbara Marstrand.
Physique et mentale, elle affecte l’ensemble du développement humain. En France, il est important de rappeler que l’adolescence est une notion récente, et ne devient une « classe d’âge » qu’avec la démocratisation de l’école à la fin du 19e siècle. Avant cela, l’usage du terme est rare voire inexistant, preuve que la sortie de l’enfance est alors souvent plus brutale – en particulier pour les femmes, qui doivent assumer le rôle d’épouses dès la puberté – comme c’est parfois le cas encore aujourd’hui. Car enlever à quelqu’un sa propre adolescence, c’est lui refuser le temps d’effectuer une transition nécessaire, et la possibilité même d’une découverte profonde de ses envies et de ce qui fait l’individualité. Car c’est d’abord une longue quête de soi, aussi déstabilisante soit-elle, que les adolescent·es ont en partage.
Artiste américaine, Deanna Templeton relève l’audacieux pari de faire rimer la photographie avec les chansons rock et punk de son adolescence. Pour réaliser son livre What She Said, l’artiste a fait poser des adolescentes d’aujourd’hui, en les inscrivant dans le cadre des années 1980, c’est-à-dire de sa propre adolescence. Car le passage à l’âge adulte est bien cette période des premiers émois, rebels, amoureux, sexuels, voire artistiques ; mais aussi des premières interrogations et angoisses existentielles, que l’on vit le plus souvent sans recul, n’ayant pas encore développé une réelle faculté à les relativiser.
Qui dit passage dit aussi éphéméralité, entre-deux : s’il y a bien dans le passage à l’âge adulte un point de non-retour, c’est celui du corps. Période des premières fois, l’adolescence est en particulier liée à des transformations physiques plus ou moins importantes, que l’on appelle la puberté. Pour la photographe belge Charlotte Abramow, qui en a fait l’objet d’une de ses premières séries – Métamorphosis – , il s’agit même d’une « bataille intérieure durant laquelle il faut trouver son nouveau soi et son nouveau corps, un corps transformé par la nature », nous avait-elle confié. En prenant pour modèle l’image de la plante, Charlotte fait poser Thémis, une jeune fille âgée de 11 ans, pour des mises en scène étrangement poétiques, empruntes de pudeur et de délicatesse.
Et puis l’adolescence, c’est d’abord la fin de l’enfance. Comment montrer cette fin ? Avec I don’t want to disappear completely, réalisée en Lettonie, Bérangère Fromont a relevé le défi. L’artiste y dépeint une adolescence « fantomatique », qui se fond dans la nuit, et qui constitue d’après elle « un lieu de résistance au monde adulte et au cynisme ». Pour autant, cet état ne marque pas encore totalement une sortie de la naïveté et de l’insouciance : au contraire, il y a dans la jeunesse une force et une fragilité fascinantes, lisibles dans le corps comme dans la parole.
Et enfin, quoi de mieux pour capturer l’esprit de l’adolescence que d’en montrer les paysages ? « Les chambres des adolescent·es sont une porte d’entrée privilégiée pour comprendre leur vie quotidienne et leur façon d’être présent·es au monde », confie Barbara Mastrand à Fisheye. Dans Still Life of Teenagers, la photographe a posé son regard sur ces espaces qui gardent les traces du chaos intérieur, de la liberté insaisissable, du désir d’ailleurs, de l’importance des modèles. Refuges permettant d’apaiser le sentiment d’insécurité, la colère et l’incompréhension des adultes, c’est là plus que n’importe où d’autre que les jeunes expérimentent, et développent leur individualité.