L’éclat des nuits de Nicolas Hermann

10 mai 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
L’éclat des nuits de Nicolas Hermann
© Nicolas Hermann
© Nicolas Hermann

C’est en pleine nuit que Nicolas Hermann trouve l’inspiration. Dans la pénombre, le photographe français compose des récits mystiques s’affranchissant du concret pour sonder l’obscurité de notre imaginaire.

Le soleil se couche, les rêves s’emparent du réel. Les sculptures prennent vie, les lueurs des étoiles traçant des courbes sur la pierre. Les troncs se font serpents, et les fruits se teintent de nuances vénéneuses. Les silhouettes – anonymes, toujours – émergent de l’obscurité, figures spectrales, éclats d’un réel que l’on se plaît à oublier. C’est au cœur de cet univers, nourri par la littérature gothique de Bram Stocker et d’Edgar Allan Poe, l’expressionnisme de Fritz Lang ou encore le mysticisme de David Lynch qu’évolue Nicolas Hermann. Ancien agent immobilier, l’artiste visuel a naturellement transité vers le médium photographique lorsqu’il a réalisé son « besoin d’exprimer quelque chose de plus profond, de plus radical ». Un virage loin de l’ordinaire où ses sens et ses intuitions se répondent, ne pouvant plus s’appuyer sur des repères engloutis par la nuit noire.

« J’invite le public à plonger dans une sphère où les êtres et les objets sont transfigurés, où les repères familiers sont réinterprétés. Cette démarche donne naissance à des œuvres qui provoquent la réflexion personnelle et éveille les émotions, créant des ponts avec des mémoires ancestrales. J’entends immerger le·a specteurice dans une expérience captivante, le·a guidant vers une réflexion approfondie sur notre connexion au monde et à autrui », confie-t-il. Une réflexion qu’il développe à travers des œuvres hybrides où se conjuguent images fixes et en mouvement et installations sonores. Là, immergé·es dans cette sphère créative d’où s’échappent des fragments d’imaginaires, des bribes d’émotions, les regardeur·ses ne peuvent que questionner leur propre perception.

© Nicolas Hermann
© Nicolas Hermann
© Nicolas Hermann
© Nicolas Hermann

S’arracher de ses repères

Un arbre millénaire aux branches nues, un sanctuaire déserté, un éclairage cramoisi s’échappant d’une fenêtre… Dans les photographies de Nicolas Hermann, on ne trouve que des suppositions, des ébauches de narration nous invitant à entamer notre propre errance. Inspiré par le concept de « l’instant nuital », imaginé par la philosophe Baldine Saint Girons – qui évoque l’éclat de la nuit et entend éveiller l’idée du destin – l’artiste « [s]’immisce dans les mythes, le nocturne et le cosmos pour en manifester l’essence transcendantale, au-delà du tangible ». Du crépuscule, il retient les nuances subtiles, aux frontières d’un monochrome venant trancher l’enveloppe du réalisme pour convoquer l’introspection. Puis, il déchire l’obscurité totale à coup d’éclairages artificiels et révèle « la vibrance des couleurs cachées, créant des images qui naviguent entre le rêve, le fantastique et le fantasmagorique ».

Au détour de ses voyages – qu’il perçoit comme « des catalyseurs de découvertes et de surprises » – l’auteur s’arrache de ses repères et laisse l’état d’éveil propre à la découverte d’un espace prendre le pas sur la raison. Là, dans ces territoires inconnus, il déambule, se perd, laisse le hasard guider ses pas – vers les autres, vers le mystère. Des rencontres de minuit aux errances guidées par les astres, Nicolas Hermann ne cesse de capter les résonances de chimères qui ne se révèlent qu’à la nuit tombée. Celles qui murmurent leurs histoires sur son passage et hantent ses pas comme son esprit. Ses « médiateurices, muses ou conteur·ses qui affinent [s]a vision et [s]on expression des scènes capturées ». Ce n’est que nourri par ces interactions qu’il compose ensuite des récits nébuleux d’où s’échappent quelques lueurs – le reflet d’un flash sur une boule à facette, les écailles d’une carpe ou l’œil orangé d’un perroquet. Et ce sont ces miroitements qui saisissent notre inconscient pour mieux l’ancrer dans ces terres paradoxales. Captant notre regard, ils éclairent un chemin dans les méandres d’une pénombre pleine de promesses, comme un avant-goût du plaisir que l’on prendra à s’y perdre.

Nicolas Hermann présentera Les rêves ont-ils des titres ?, fruit d’un travail artistique réalisé dans le cadre de la résidence Ardelim, le 17 mai 2024 à l’église Saint-Étienne de Beaugency (45).

© Nicolas Hermann

© Nicolas Hermann

© Nicolas Hermann
© Nicolas Hermann

© Nicolas Hermann
© Nicolas Hermann

© Nicolas Hermann

© Nicolas Hermann

© Nicolas Hermann

© Nicolas Hermann
À lire aussi
Daido Moriyama, ivresse et mystère, dans la photothèque d’Elie Monférier
© Elie Monferier
Daido Moriyama, ivresse et mystère, dans la photothèque d’Elie Monférier
Des premiers émois photographiques aux coups de cœur les plus récents, les auteurices publié·es sur les pages de Fisheye reviennent sur…
21 décembre 2023   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Joakim Kocjancic : une nuit à Bucarest
© Joakim Kocjancic
Joakim Kocjancic : une nuit à Bucarest
Dans The City of dreams, Joakim Kocjancic dépeint Bucarest en monochromes comme dans un rêve éveillé. La ville prend vie sous des flashs…
16 novembre 2023   •  
Écrit par Ana Corderot
Explorez
Raï de Boris Bincoletto : oublier quelqu'un pour retrouver les autres
© Boris Binceletto
Raï de Boris Bincoletto : oublier quelqu’un pour retrouver les autres
Après Solemar, son premier livre photographique qui explorait la côte Adriatique, Boris Binceletto sort Raï, qui se situe entre la...
17 décembre 2024   •  
Écrit par Hugo Mangin
Motel 42 : Eloïse Labarbe-Lafon peint le décor d’un road trip
© Eloïse Labarbe-Lafon
Motel 42 : Eloïse Labarbe-Lafon peint le décor d’un road trip
Composé d’une quarantaine de portraits pris dans des chambres durant un road trip, Motel 42 d’Eloïse Labarbe-Lafon s’impose comme un...
06 décembre 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Marie Le Gall : photographier un Maroc intime
© Marie Le Gall
Marie Le Gall : photographier un Maroc intime
Absente depuis vingt ans, lorsque Marie Le Gall retourne enfin au Maroc, elle découvre un territoire aussi étranger que familier....
22 novembre 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Visions d'Amérique latine : la séance de rattrapage Focus !
© Alex Turner
Visions d’Amérique latine : la séance de rattrapage Focus !
Des luttes engagées des catcheuses mexicaines aux cicatrices de l’impérialisme au Guatemala en passant par une folle chronique de...
20 novembre 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Nos derniers articles
Voir tous les articles
The Color of Money and Trees: portraits de l'Amérique désaxée
©Tony Dočekal. Chad on Skid Row
The Color of Money and Trees: portraits de l’Amérique désaxée
Livre magistral de Tony Dočekal, The Color of Money and Trees aborde les marginalités américaines. Entre le Minnesota et la Californie...
21 décembre 2024   •  
Écrit par Hugo Mangin
Paysages mouvants : la jeune création investit le Jeu de Paume
© Prune Phi
Paysages mouvants : la jeune création investit le Jeu de Paume
Du 7 février au 23 mars 2025, le Jeu de Paume accueille le festival Paysages mouvants, un temps de réflexion et de découverte dédié à la...
20 décembre 2024   •  
Écrit par Costanza Spina
Mirko Ostuni : une adolescence dans les Pouilles
© Mirko Ostuni, Onde Sommerse.
Mirko Ostuni : une adolescence dans les Pouilles
Dans Onde Sommerse, Mirko Ostuni dresse le portrait de sa propre génération se mouvant au cœur des Pouilles. Cette jeunesse tendre et...
20 décembre 2024   •  
Écrit par Marie Baranger
Ces séries photographiques qui cherchent à guérir les blessures
© Maurine Tric
Ces séries photographiques qui cherchent à guérir les blessures
Pour certain·es artistes, la photographie a un pouvoir cathartique ou une fonction guérisseuse. Iels s'en emparent pour panser les plaies...
19 décembre 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine