C’est en pleine nuit que Nicolas Hermann trouve l’inspiration. Dans la pénombre, le photographe français compose des récits mystiques s’affranchissant du concret pour sonder l’obscurité de notre imaginaire.
Le soleil se couche, les rêves s’emparent du réel. Les sculptures prennent vie, les lueurs des étoiles traçant des courbes sur la pierre. Les troncs se font serpents, et les fruits se teintent de nuances vénéneuses. Les silhouettes – anonymes, toujours – émergent de l’obscurité, figures spectrales, éclats d’un réel que l’on se plaît à oublier. C’est au cœur de cet univers, nourri par la littérature gothique de Bram Stocker et d’Edgar Allan Poe, l’expressionnisme de Fritz Lang ou encore le mysticisme de David Lynch qu’évolue Nicolas Hermann. Ancien agent immobilier, l’artiste visuel a naturellement transité vers le médium photographique lorsqu’il a réalisé son « besoin d’exprimer quelque chose de plus profond, de plus radical ». Un virage loin de l’ordinaire où ses sens et ses intuitions se répondent, ne pouvant plus s’appuyer sur des repères engloutis par la nuit noire.
« J’invite le public à plonger dans une sphère où les êtres et les objets sont transfigurés, où les repères familiers sont réinterprétés. Cette démarche donne naissance à des œuvres qui provoquent la réflexion personnelle et éveille les émotions, créant des ponts avec des mémoires ancestrales. J’entends immerger le·a specteurice dans une expérience captivante, le·a guidant vers une réflexion approfondie sur notre connexion au monde et à autrui », confie-t-il. Une réflexion qu’il développe à travers des œuvres hybrides où se conjuguent images fixes et en mouvement et installations sonores. Là, immergé·es dans cette sphère créative d’où s’échappent des fragments d’imaginaires, des bribes d’émotions, les regardeur·ses ne peuvent que questionner leur propre perception.
S’arracher de ses repères
Un arbre millénaire aux branches nues, un sanctuaire déserté, un éclairage cramoisi s’échappant d’une fenêtre… Dans les photographies de Nicolas Hermann, on ne trouve que des suppositions, des ébauches de narration nous invitant à entamer notre propre errance. Inspiré par le concept de « l’instant nuital », imaginé par la philosophe Baldine Saint Girons – qui évoque l’éclat de la nuit et entend éveiller l’idée du destin – l’artiste « [s]’immisce dans les mythes, le nocturne et le cosmos pour en manifester l’essence transcendantale, au-delà du tangible ». Du crépuscule, il retient les nuances subtiles, aux frontières d’un monochrome venant trancher l’enveloppe du réalisme pour convoquer l’introspection. Puis, il déchire l’obscurité totale à coup d’éclairages artificiels et révèle « la vibrance des couleurs cachées, créant des images qui naviguent entre le rêve, le fantastique et le fantasmagorique ».
Au détour de ses voyages – qu’il perçoit comme « des catalyseurs de découvertes et de surprises » – l’auteur s’arrache de ses repères et laisse l’état d’éveil propre à la découverte d’un espace prendre le pas sur la raison. Là, dans ces territoires inconnus, il déambule, se perd, laisse le hasard guider ses pas – vers les autres, vers le mystère. Des rencontres de minuit aux errances guidées par les astres, Nicolas Hermann ne cesse de capter les résonances de chimères qui ne se révèlent qu’à la nuit tombée. Celles qui murmurent leurs histoires sur son passage et hantent ses pas comme son esprit. Ses « médiateurices, muses ou conteur·ses qui affinent [s]a vision et [s]on expression des scènes capturées ». Ce n’est que nourri par ces interactions qu’il compose ensuite des récits nébuleux d’où s’échappent quelques lueurs – le reflet d’un flash sur une boule à facette, les écailles d’une carpe ou l’œil orangé d’un perroquet. Et ce sont ces miroitements qui saisissent notre inconscient pour mieux l’ancrer dans ces terres paradoxales. Captant notre regard, ils éclairent un chemin dans les méandres d’une pénombre pleine de promesses, comme un avant-goût du plaisir que l’on prendra à s’y perdre.
Nicolas Hermann présentera Les rêves ont-ils des titres ?, fruit d’un travail artistique réalisé dans le cadre de la résidence Ardelim, le 17 mai 2024 à l’église Saint-Étienne de Beaugency (45).