Les forêts calcinées de Morvarid K

08 novembre 2023   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Les forêts calcinées de Morvarid K
This Too Shall Pass © Morvarid K - Courtesy Bigaignon
This Too Shall Pass © Morvarid K – Courtesy Bigaignon

À la frontière de la photographie et de la performance, l’artiste iranienne Morvarid K délivre un message puissant sur la perception humaine et l’avenir environnemental désastreux qui se profile. This Too Shall Pass se dévoile jusqu’au 23 décembre 2023 dans les cimaises de la Galerie Bigaignon. Contrairement aux chaînes d’information défilant sur votre télévision, ne zappez pas cette exposition !

Surnommée « le poumon de la Terre », la forêt bat de regrettables records ces dernières années dans l’Union européenne. Au total, plus de 785 000 hectares sont partis en fumée en 2022 selon un bilan effectué par le système européen d’information sur les feux de forêt et Copernicus, le programme spatial collectant des données sur l’état de notre planète. Mais les embrasements traversent les frontières et, petit à petit, le réchauffement climatique bouleverse nos paysages et nos vies. Alors que les chaînes d’information ne cessent de produire des vidéos imprégnées de sensationnalisme qui n’ont guère d’impact sur les téléspectateurices, Morvarid K décide en 2020, juste après les importants incendies australiens, d’illustrer, d’une manière si singulière, l’urgence climatique. En outre, la photographe iranienne, qui se définit comme une artiste visuelle et performeuse, délivre un message percutant sur la nécessité de laisser des traces, et de ne pas fermer les yeux sur l’avenir de notre planète.  

Expression provenant d’un poète persan, This Too Shall Pass, le titre de l’exposition, a été largement empruntée par des politicien·nes, notamment Abraham Lincoln. Typiquement américaine, elle signifie que les choses évoluent, les choses passent, jusqu’à ce qu’elles rejoignent le trou sans fond de l’oubli, sans laisser une seule trace. « Quand on regarde une information trop choquante sur un écran ou un journal, une guerre par exemple, on est choqué·es sur l’instant puis on change de chaine, on tourne la page. Et on oublie, on passe à autre chose », constate Thierry Bigaignon, directeur de la Galerie Bigaignon installée à Paris. En tant qu’artiste, Morvarid K souhaite faire l’inverse en laissant une empreinte de l’urgence climatique et démentir cette idée que « This Too Shall Pass [cela aussi passera, NDLR] ».

This Too Shall Pass © Morvarid K – Courtesy Bigaignon
This Too Shall Pass © Morvarid K – Courtesy Bigaignon

Performance méditative et engagée

Débutée en Australie puis poursuivie en France en 2021 et 2022, cette série se compose d’images « qui naissent deux fois », selon les mots de l’artiste. La première naissance s’opère dès la prise de vue, lorsque Morvarid K saisit les forêts calcinées. Mais cela ne lui suffit pas. Elle passe ensuite par un acte performatif pour modifier manuellement ses clichés et leur permettre de naitre une seconde fois. Munie d’un stylo bic de couleur verte, elle recouvre méticuleusement ses photographies de petits traits. Une technique d’une précieuse minutie qui dure entre 50 à 70 heures selon les œuvres. Elle raconte alors que cet exercice demandant une immense patience se transforme en un processus méditatif. « Si on retourne le tirage pour le mettre à l’envers, il n’y a aucune trace. Ce sont des traits extrêmement fins et légers », précise Thierry Bigaignon, fasciné par ce travail. Bien plus qu’un procédé artistique, ces petits traits verts permettent à Morvarid K de colorer les forêts noircies par les feux. « Elle a été profondément frappée par l’absence de vie et de bruit dans ces endroits où tout devient noir. Elle a voulu remettre de la couleur dans quelque chose qui en est complètement dénuée », ajoute le directeur de la galerie. 

En parallèle de cet exigent processus caractéristique de l’ensemble de son œuvre, Morvarid K dévoile des installations photographiques rappelant l’écorce d’un arbre. Certaines se composent d’images d’écorces tirées en risographie, un procédé d’impression respectueux de l’environnement consommant peu d’énergie, qui sont ensuite frottées contre des arbres calcinés. D’autres donnent à voir de gros plans d’écorces qui se superposent et où les contours ont été brûlés afin de témoigner des stigmates de ces catastrophes écologiques. Ces différentes techniques permettent alors d’évoquer le rapport au monde de l’art qu’entretient Morvarid K. « Dans tous ces projets, elle apporte un soin particulier à ne pas prendre soin des tirages », explique Thierry Bigaignon. A contrario des artistes manipulant les impressions avec des gants blancs, la photographe n’hésite pas à piétiner, froisser, déchirer ou encore couper ses images. La désacralisation du tirage se révèle comme une marque significative de son travail. En interpellant sur la fragilité de nos écosystèmes face à l’urgence climatique, Morvarid K affirme, à nouveau, son engagement pluriel et remarquable pour les causes sociétales et environnementales. 

This Too Shall Pass © Morvarid K – Courtesy Bigaignon
This Too Shall Pass © Morvarid K – Courtesy Bigaignon
This Too Shall Pass © Morvarid K – Courtesy Bigaignon
This Too Shall Pass © Morvarid K – Courtesy Bigaignon
À lire aussi
Tracer l’effacement, Morvarid K à la Fisheye Gallery
Tracer l’effacement, Morvarid K à la Fisheye Gallery
Née en 1982 à Téhéran, Morvarid K développe depuis une dizaine d’années une œuvre…
25 avril 2018   •  
Écrit par Eric Karsenty
La Brûlure : Maude Girard capture le cri d’une terre enflammée
© Maude Girard
La Brûlure : Maude Girard capture le cri d’une terre enflammée
C’est un monde incandescent que présente Maude Girard, photographe-auteure et ancienne journaliste de 34 ans…
28 août 2023   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Nature et Société, les maîtres mots de l’édition arlésienne 2023 de Fotohaus
© DOCKS Collectif
Nature et Société, les maîtres mots de l’édition arlésienne 2023 de Fotohaus
Jusqu’au 24 septembre, Fotohaus pose ses valises à la Fondation Manuel Riviera-Ortiz d’Arles. Au cœur de l’exposition, cette année, une…
05 juillet 2023   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Explorez
La précieuse fragilité selon le festival FLOW#1
Les Fossiles du futur, Synesthésies océaniques © Laure Winants, Fondation Tara Océan
La précieuse fragilité selon le festival FLOW#1
Du 20 septembre au 30 octobre 2025 s’est tenue la première édition de FLOW, un parcours culturel ambitieux imaginé par The Eyes...
13 novembre 2025   •  
Écrit par Fabrice Laroche
Une fable collective au cœur du béton, par Alexandre Silberman
© Alexandre Silberman, Nature
Une fable collective au cœur du béton, par Alexandre Silberman
Exposée à la galerie Madé, dans le cadre de PhotoSaintGermain, jusqu’au 30 novembre 2025, la série NATURE d'Alexandre Silberman...
12 novembre 2025   •  
Écrit par Milena III
Laura Lafon Cadilhac : s'indigner sur les cendres de l'été
Red Is Over My Lover. Not Anymore Mi Amor © Laura Lafon Cadilhac
Laura Lafon Cadilhac : s’indigner sur les cendres de l’été
Publié chez Saetta Books, Red Is Over My Lover. Not Anymore Mi Amor de Laura Lafon Cadilhac révèle un été interminable. L’ouvrage se veut...
07 novembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Écofemmes Fest : un rendez-vous pour créer, lutter, transmettre
Trenza, le lien qui nous unit, 2025 ©Gabriela Larrea Almeida
Écofemmes Fest : un rendez-vous pour créer, lutter, transmettre
Jusqu'au 9 novembre prochain, La Caserne, dans le 10e arrondissement de Paris, accueille la première édition d’Écofemmes Fest, un...
07 novembre 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Le 7 à 9 de Chanel : Viviane Sassen, l’ombre comme seconde peau
© Viviane Sassen
Le 7 à 9 de Chanel : Viviane Sassen, l’ombre comme seconde peau
Nouvelle invitée du 7 à 9 de Chanel au Jeu de Paume, Viviane Sassen a déroulé le fil intime et créatif de son œuvre au cours d’une...
Il y a 10 heures   •  
Écrit par Cassandre Thomas
La sélection Instagram #534 : film noir
© Lux Corvo / Instagram
La sélection Instagram #534 : film noir
Alors que les jours s’assombrissent et que la nuit domine, les artistes de notre sélection Instagram de la semaine nous plongent dans les...
25 novembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Dans l’œil de Naïma Lecomte : rendez-vous au bord de l’eau après les cours
© Naïma Lecomte / Planches Contact Festival
Dans l’œil de Naïma Lecomte : rendez-vous au bord de l’eau après les cours
Cette semaine, nous vous plongeons dans l’œil de Naïma Lecomte. Jusqu’au 4 janvier 2026, l’artiste présente Ce qui borde à Planches...
24 novembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les coups de cœur #566 : Lalitâ-Kamalâ Valenta et Kordélia Phan
© Lalitâ-Kamalâ Valenta
Les coups de cœur #566 : Lalitâ-Kamalâ Valenta et Kordélia Phan
Lalitâ-Kamalâ Valenta et Kordélia Phan, nos coups de cœur de la semaine, documentent des univers spécifiques. La première s’intéresse à...
24 novembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet