À la frontière de la photographie et de la performance, l’artiste iranienne Morvarid K délivre un message puissant sur la perception humaine et l’avenir environnemental désastreux qui se profile. This Too Shall Pass se dévoile jusqu’au 23 décembre 2023 dans les cimaises de la Galerie Bigaignon. Contrairement aux chaînes d’information défilant sur votre télévision, ne zappez pas cette exposition !
Surnommée « le poumon de la Terre », la forêt bat de regrettables records ces dernières années dans l’Union européenne. Au total, plus de 785 000 hectares sont partis en fumée en 2022 selon un bilan effectué par le système européen d’information sur les feux de forêt et Copernicus, le programme spatial collectant des données sur l’état de notre planète. Mais les embrasements traversent les frontières et, petit à petit, le réchauffement climatique bouleverse nos paysages et nos vies. Alors que les chaînes d’information ne cessent de produire des vidéos imprégnées de sensationnalisme qui n’ont guère d’impact sur les téléspectateurices, Morvarid K décide en 2020, juste après les importants incendies australiens, d’illustrer, d’une manière si singulière, l’urgence climatique. En outre, la photographe iranienne, qui se définit comme une artiste visuelle et performeuse, délivre un message percutant sur la nécessité de laisser des traces, et de ne pas fermer les yeux sur l’avenir de notre planète.
Expression provenant d’un poète persan, This Too Shall Pass, le titre de l’exposition, a été largement empruntée par des politicien·nes, notamment Abraham Lincoln. Typiquement américaine, elle signifie que les choses évoluent, les choses passent, jusqu’à ce qu’elles rejoignent le trou sans fond de l’oubli, sans laisser une seule trace. « Quand on regarde une information trop choquante sur un écran ou un journal, une guerre par exemple, on est choqué·es sur l’instant puis on change de chaine, on tourne la page. Et on oublie, on passe à autre chose », constate Thierry Bigaignon, directeur de la Galerie Bigaignon installée à Paris. En tant qu’artiste, Morvarid K souhaite faire l’inverse en laissant une empreinte de l’urgence climatique et démentir cette idée que « This Too Shall Pass [cela aussi passera, NDLR] ».
Performance méditative et engagée
Débutée en Australie puis poursuivie en France en 2021 et 2022, cette série se compose d’images « qui naissent deux fois », selon les mots de l’artiste. La première naissance s’opère dès la prise de vue, lorsque Morvarid K saisit les forêts calcinées. Mais cela ne lui suffit pas. Elle passe ensuite par un acte performatif pour modifier manuellement ses clichés et leur permettre de naitre une seconde fois. Munie d’un stylo bic de couleur verte, elle recouvre méticuleusement ses photographies de petits traits. Une technique d’une précieuse minutie qui dure entre 50 à 70 heures selon les œuvres. Elle raconte alors que cet exercice demandant une immense patience se transforme en un processus méditatif. « Si on retourne le tirage pour le mettre à l’envers, il n’y a aucune trace. Ce sont des traits extrêmement fins et légers », précise Thierry Bigaignon, fasciné par ce travail. Bien plus qu’un procédé artistique, ces petits traits verts permettent à Morvarid K de colorer les forêts noircies par les feux. « Elle a été profondément frappée par l’absence de vie et de bruit dans ces endroits où tout devient noir. Elle a voulu remettre de la couleur dans quelque chose qui en est complètement dénuée », ajoute le directeur de la galerie.
En parallèle de cet exigent processus caractéristique de l’ensemble de son œuvre, Morvarid K dévoile des installations photographiques rappelant l’écorce d’un arbre. Certaines se composent d’images d’écorces tirées en risographie, un procédé d’impression respectueux de l’environnement consommant peu d’énergie, qui sont ensuite frottées contre des arbres calcinés. D’autres donnent à voir de gros plans d’écorces qui se superposent et où les contours ont été brûlés afin de témoigner des stigmates de ces catastrophes écologiques. Ces différentes techniques permettent alors d’évoquer le rapport au monde de l’art qu’entretient Morvarid K. « Dans tous ces projets, elle apporte un soin particulier à ne pas prendre soin des tirages », explique Thierry Bigaignon. A contrario des artistes manipulant les impressions avec des gants blancs, la photographe n’hésite pas à piétiner, froisser, déchirer ou encore couper ses images. La désacralisation du tirage se révèle comme une marque significative de son travail. En interpellant sur la fragilité de nos écosystèmes face à l’urgence climatique, Morvarid K affirme, à nouveau, son engagement pluriel et remarquable pour les causes sociétales et environnementales.