Les mascarades de Charles Fréger

12 février 2019   •  
Écrit par Maria Teresa Neira
Les mascarades de Charles Fréger

Le Musée d’Histoire de Nantes – Château des Ducs de Bretagne accueille jusqu’au 14 avril 2019 Cimarron, une série réalisée par le photographe français Charles Fréger sur les mascarades dans le continent Américain.

Cimarron

est le troisième volet d’une série photographique consacrée aux mascarades, costumes et masques utilisés lors des carnavals. Entamé en 2014, le projet a commencé avec la série Yokai-no-shima, l’île des monstres (2013) réalisée autour des figures rituelles masquées au Japon et Wilder Mann : the image of the savage  (2010), sur les mascarades hivernales européennes. En devenant ours, chèvre, homme de paille, diable ou monstre, les personnages de Wilder Mann célèbrent le cycle de la vie et des saisons. Yokai-no-shima est un chant aux figures nipponnes : spectres, monstres et ogres sont autant d’incarnations imaginées par l’homme et symbolisées par les masques. Pour réaliser Cimarron, Charles Fréger a parcouru l’Amérique, depuis le sud des États-Unis jusqu’au Brésil, en passant par la Nouvelle Orléans, les Caraïbes ou le Pérou. Le photographe dresse un inventaire de mascarades pratiquées dans quatorze pays par les descendants d’esclaves africains, honorant la mémoire de leurs ancêtres et leurs cultures aux influences hétéroclites. Dans ces séries, le photographe explore, à travers les costumes carnavalesques, le syncrétisme des cultures et des rites païens. Il compose ainsi une mosaïque colorée des traditions populaires, fruit des flux migratoires, de la colonisation et des luttes de pouvoir. Ses photographies, au-delà de leur esthétique, ont une charge symbolique invitant à une lecture historique et ethnographique. L’exposition présentée au Château des Ducs de Bretagne s’est articulée en deux temps. Un premier espace accueille 64 photos de la série Cimarron.  Tandis que six autres images apparaissent dans le musée d’Histoire et font écho à l’exposition permanente sur la Traite des Noirs et la Révolution haïtienne.

© Charles Fréger© Charles Fréger

Masquerades et quêtes de liberté

Le terme « cimarron » désignait initialement dans le langage colonial hispanique l’esclave fugitif. Ce terme donne naissance, après l’abolition de l’esclavage en 1848, au terme de « marron », figure héroïque de l’homme résistant à l’oppression coloniale. Derrière la multitude des masques et des costumes, on peut lire les fantômes d’hommes et de femmes aspirant à la liberté. Du Brésil jusqu’au sud des États-Unis en passant par l’Amérique Centrale, des mascarades sont mises en scène pour célébrer l’histoire et la mémoire des esclaves africains et de leurs descendants créoles ou métis. La mascarade devient un espace de subversion et de mélange, où l’on réinvente le rapport hiérarchique. En le mimant, l’opprimé devient oppresseur. On y retrouve des figures sacrées, mais aussi des diables, des clowns et des hommes (re)devenus primitifs  : les symboles religieux sont retournés, subversifs et naturellement réinventés. « En pratique, les carnavals d’Amérique célèbrent non seulement la fête chrétienne mais aussi le culte d’ancêtres, tant africains qu’amérindiens, qui, sous l’influence du catholicisme, se sont déguisés en saints chrétiens. Paradoxalement, la fête peut s’entendre comme une occasion pour les populations de bousculer l’ordre religieux, racial ou social qui leur est imposé »  explique Ana Ruiz Valencia, chercheur et muséologue, au sein de l’ouvrage Cimarron (Actes Sud, 2019). Mascarades et quêtes de liberté vont de pair.

© Charles Fréger

La culture, en (re)construction permanente

Quand la notion d’appropriation culturelle réapparaît dans l’actualité, c’est souvent avec une note critique ou péjorative. C’est cela que questionne Charles Fréger. Dans les anciennes colonies des Amériques, à partir du 16e siècle, les esclaves africains libérés ont fondé leurs propres communautés ou se sont joints aux peuples autochtones, tels que les amérindiens, afin de forger de nouvelles identités. Dans le Nouveau Monde, la religiosité africaine a survécu à la traite des esclaves pour refleurir dans de nouvelles coutumes. L’héritage de ce passé donne lieu à des pratiques qui, dans leur lutte pour l’émancipation, ont bouleversé les symboles des anciennes traditions. Les portraits de Charles Fréger subliment cette suspension provisoire de la normalité propre au carnaval et dévoilent des traditions méconnues et d’une surprenante richesse. Celles-ci sont la preuve que la culture est en (re)construction permanente. « Alors que l’on serait tentés d’imaginer ces traditions se transmettant de génération en génération avec leur propre cadre conceptuel, et investies de manière homogène, ces croyances et rites sont soumis à un processus permanent de réinterprétation et de reconstruction, de même que les signes et symboles, oscillant constamment entre diverses appropriations individuelles et collectives », soutient Ana Ruiz Valencia, dans l’épilogue de Cimarron. Le livre paraîtra en mars aux éditions Actes Sud.

© Charles Fréger© Charles Fréger
© Charles Fréger© Charles Fréger

© Charles Fréger

Explorez
Les images de la semaine du 17 novembre 2025 : portraits du passé et du présent
I Saw a Tree Bearing Stones in Place of Apples and Pears © Emilia Martin
Les images de la semaine du 17 novembre 2025 : portraits du passé et du présent
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les photographes de Fisheye dépeignent différentes réalités. Certains puisent leur inspiration...
23 novembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
5 événements photo à découvrir ce week-end
© Sandra Eleta
5 événements photo à découvrir ce week-end
Ça y est, le week-end est là. Si vous prévoyez une sortie culturelle, mais ne savez pas encore où aller, voici cinq événements...
22 novembre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
La Galerie Carole Lambert réenchante l'œuvre de Manuel Álvarez Bravo
Petit cheval de Quito © Archivo Manuel Álvarez Bravo
La Galerie Carole Lambert réenchante l’œuvre de Manuel Álvarez Bravo
Jusqu'au 18 décembre 2025, la Galerie Carole Lambert devient l’écueil des 40 tirages d’exception du photographe mexicain Manuel Álvarez...
21 novembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Emilio Azevedo : En ligne de mire
Rondônia (Comment je suis tombé amoureux d’une ligne), 2023 © Emilio Azevedo
Emilio Azevedo : En ligne de mire
Présentée dans le cadre du festival PhotoSaintGermain et au musée du Quai Branly, l'exposition Rondônia. Comment je suis tombé amoureux...
20 novembre 2025   •  
Écrit par Milena III
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Dans l’œil de Naïma Lecomte : rendez-vous au bord de l’eau après les cours
© Naïma Lecomte / Planches Contact Festival
Dans l’œil de Naïma Lecomte : rendez-vous au bord de l’eau après les cours
Cette semaine, nous vous plongeons dans l’œil de Naïma Lecomte. Jusqu’au 4 janvier 2026, l’artiste présente Ce qui borde à Planches...
Il y a 3 heures   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les coups de cœur #566 : Lalitâ-Kamalâ Valenta et Kordélia Phan
© Lalitâ-Kamalâ Valenta
Les coups de cœur #566 : Lalitâ-Kamalâ Valenta et Kordélia Phan
Lalitâ-Kamalâ Valenta et Kordélia Phan, nos coups de cœur de la semaine, documentent des univers spécifiques. La première s’intéresse à...
Il y a 8 heures   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les images de la semaine du 17 novembre 2025 : portraits du passé et du présent
I Saw a Tree Bearing Stones in Place of Apples and Pears © Emilia Martin
Les images de la semaine du 17 novembre 2025 : portraits du passé et du présent
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les photographes de Fisheye dépeignent différentes réalités. Certains puisent leur inspiration...
23 novembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
5 événements photo à découvrir ce week-end
© Sandra Eleta
5 événements photo à découvrir ce week-end
Ça y est, le week-end est là. Si vous prévoyez une sortie culturelle, mais ne savez pas encore où aller, voici cinq événements...
22 novembre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine