À l’occasion de la cinquième édition d’Exporama, la Collection Pinault fait halte à Rennes avec une exposition magistrale sur le portrait, du 14 juin au 14 septembre 2025. On y retrouve des noms comme Irving Penn, Orlan, Cindy Sherman.
Depuis 2018, Exporama anime chaque été les lieux culturels rennais autour de l’art contemporain. Après Debout !, Au-delà de la couleur ou Forever Sixties, la collaboration entre la Collection Pinault, la Ville de Rennes et Rennes Métropole s’approfondit encore avec une exposition thématique ambitieuse : Les yeux dans les yeux, présentée du 14 juin au 14 septembre 2025 au Couvent des Jacobins. Près de 90 œuvres y déclinent, en autant de visages et de regards, la tension féconde du portrait. Le commissariat de l’exposition a été confié à Jean-Marie Gallais, conservateur auprès de la Collection Pinault. Son constat est simple : plus de la moitié des productions artistiques de la collection, tous médiums confondus, explorent la figure humaine. C’est donc à cette humanité multiple que l’exposition rend hommage – familière ou troublante, intime ou publique, réaliste ou fantasmatique. Les travaux d’Irving Penn à Cindy Sherman, de Nan Goldin ou de Luc Tuymans forment une galerie où chaque portrait devient un récit. Tensions intérieures, émotions muettes, identités en construction ou en fuite : les visages dévoilent autant qu’ils dissimulent. À l’heure des filtres, des écrans et de la reconnaissance faciale, Les yeux dans les yeux interroge la manière dont les images façonnent notre rapport à l’autre, et peut-être même à nous-mêmes. « Dans un monde où tout va vite et qui est intensément submergé d’images, dès la petite enfance, nous parvenons à mémoriser durablement des visages », écrit Jean-Marie Gallais dans le catalogue de l’exposition. Il évoque cette capacité neurologique aussi mystérieuse que fondamentale, renforcée par l’irruption massive des médias : « On estime à 5 000 le nombre moyen de visages mémorisés par un individu, un chiffre qui aurait explosé depuis l’apparition de la télévision et d’internet. » Mais les portraits ne sont pas que mémoire. Ils sont par ailleurs questionnement, projection. Qu’ils soient officiels, intimes ou imaginaires, ils incarnent – au sens presque juridique – une présence, une trace. Le philosophe Jean-Luc Nancy l’a résumé ainsi : « le portrait reproduit, interpelle, représente. »
Entre jeux de représentations, effacements, masques et regards
Les yeux dans les yeux se déploie en six sections qui explorent les multiples dimensions du portrait, entre jeux de représentations, effacements, masques et regards. Dans Jouer avec le genre, le portrait vient briser les conventions, en instaurant des ruptures et des reprises. Les artistes contemporain·es s’en emparent avec distance, ironie ou hommage, jouant avec les codes visuels, les références historiques et les statuts de l’image. Il est ici un objet réflexif, une construction plus qu’un simple reflet.
Dans la section Apparaître, disparaître, est abordée la démocratisation de ce genre visuel. Longtemps réservé aux puissant·es, il s’est diffusé jusqu’à l’ère du selfie et de la surreprésentation. Elle interroge la mise en scène de soi, entre narcissisme contemporain, stéréotypes et effacement du sujet. Certain·es artistes optent pour la disparition, les figures floues ou fantomatiques, brouillant les frontières entre réel et fiction. Impossibles portraits le pense comme miroir des violences du monde et des blessures de l’histoire. Des visages marqués par la folie, le deuil ou la cruauté, qui témoignent de l’irreprésentable. Ils révèlent souvent plus sur l’humanité que ceux cherchant à l’idéaliser.
Mais le portrait ne dit pas toujours l’identité : il peut la cacher, la rejouer ou la dissimuler. Masques et peaux explore les figures voilées, masquées, hybrides, entre théâtre et artifice. Et puis le portrait devient personnel, voire secret. Un pan de l’exposition met en lumière les histoires d’amant·es, d’ami·es, d’enfants, de familles, où le regard est chargé d’émotion. Les portraits présentés ici dévoilent la tendresse, le trouble, la distance ou la séduction, dans une tension constante entre vérité et tromperie, regard privé et regard public. En guise de conclusion, De l’intimité à l’éternité voit le portrait comme un outil qui fixe une présence dans le temps. Il porte la mémoire, la mort, parfois l’immortalité. Peindre ou photographier un visage, c’est le faire survivre. Les œuvres réunies dans cette partie interrogent une dimension temporelle du portrait : entre adieu, souvenir, empreinte et mythe.