Dans Love Me Again, un livre édité aux Éditions Loose Joints, Michella Bredahl réunit des portraits réalisés pendant plus d’une dizaine d’années. Un livre où les intimités se réunissent pour former un espace serein et rassurant, comme celui d’un foyer chaleureux.
Un corps nu à même le sol, en équilibre sur une barre de pole dance, ou élancé dans une étreinte charnelle… Dans Love Me Again de Michella Bredahl, il y a de la lenteur, une paresse virale dans des intérieurs désorganisés. Un calme règne, le temps file doucement entre les lits défaits, et la moue rêveuse d’une femme allongée. Pour l’artiste danoise, cinéaste et photographe, tout ne s’est pas toujours déroulé dans la douceur, bien au contraire. Née au Danemark et ayant grandi à Høje Gladsaxe, un complexe de logements sociaux situé à l’extérieur de Copenhague, avec sa sœur et sa mère, elle est placée à 13 ans dans une famille d’accueil. La même année, elle commence à travailler dans un vidéoclub et est repérée comme mannequin. Un emploi la poussant une fois de plus à quitter son entourage. S’entament alors une série de voyage et la découverte d’un tout autre monde : celui de la photographie et du cinéma. Chemin faisant, elle quitte le monde de la mode à 21 ans et revient au Danemark pour y étudier la photographie à Fatamorgana ainsi que la réalisation à l’école nationale du film. « La photographie a toujours joué un rôle important dans mon enfance, sans que je m’en rende vraiment compte. Elle n’avait pas de visée créative, mais était présente dans le décor. Dans les années 1990, ma mère avait un appareil photo instantané et n’arrêtait pas de nous prendre en photos ma sœur et moi, et me demandait en retour de prendre des photos d’elle. Ces photos étaient rangées puis laissées pour compte dans des albums qui ont pris la poussière. Mais c’est véritablement là qu’ont débuté ma relation et mon intérêt pour la photographie. Ma mère m’a fait cadeau d’un appareil et j’ai commencé à photographier mes amis chez eux, dans les logements sociaux où j’ai grandi. Aujourd’hui, lorsque je regarde mes images, je me rends compte que le 8e art a été un moyen de naviguer dans tout le chaos qui m’entourait lorsque j’étais enfant », avoue Michella Bredahl.
55 €
120 pages
Trouver son foyer
Fruit de plusieurs décennies de photographie, prise entre New York et le Danemark, Love Me Again se lit dans un temps long de création, et s’apprécie comme un condensé de portraits d’une haute valeur sentimentale. Pour réaliser ces derniers, elle a shooté ses ami·es dans leurs lieux de vie, leur demandant explicitement de ne toucher à rien. « Iels savent qu’ils ne doivent pas nettoyer avant que je vienne prendre des photos. Iels en plaisantent même avec moi, mais iels comprennent vite que tout ce désordre et ces petits détails en disent long sur le moment où j’ai pris la photo. On peut voir que quelque chose s’est déjà produit ou est peut-être sur le point de se produire. À partir de tous ces détails, on peut peut-être accéder à des éléments de l’intériorité psychique d’une personne », ajoute-t-elle.
Et en effet, dans ses images, Michella Bredahl observe avec une complicité discrète, laissant l’autre et son intérieur faire opérer sa magie d’un naturel implacable. Toutes les différentes histoires de vies qu’elle photographie se lient entre elles, les individualités de chacun·e se reflètent dans celles des autres, et le récit d’un groupe s’écrit. Un instant, on s’imprègne de ce qui compose ces paysages intimes et on gravite dans les couloirs d’amours naissants, derrière les rideaux et les peurs, pour enfin prendre part aux joies simples de l’existence. Puis on repart quand il faut, quand on le souhaite. À mesure que l’on parcourt le livre, les portraits singuliers s’assemblent pour former une famille unie par ses dissonances plurielles, une famille choisie et réunie dans le doux regard de Michella Bredahl. Une manière pour l’artiste d’enfin accéder au réconfort, et d’aimer, encore plus fort. « Mes images me procurent beaucoup de paix. J’ai l’impression d’avoir trouvé un foyer », conclut-elle.