Marie Le Gall : photographier un Maroc intime

22 novembre 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Marie Le Gall : photographier un Maroc intime
© Marie Le Gall
© Marie Le Gall

Absente depuis vingt ans, lorsque Marie Le Gall retourne enfin au Maroc, elle découvre un territoire aussi étranger que familier. À coups d’images, elle esquisse alors une lettre d’amour à son pays d’enfance – un poème visuel traduisant ses sensations.

« À la croisée du documentaire, du récit personnel et de la fiction, ma pratique photographique s’inscrit dans un registre poétique, investissant la notion de territoire intime. Elle donne à voir une sensibilité portée par l’humain. La nécessité de garder une empreinte de mémoire, les détails du quotidien des corps, et l’indispensable lien que j’entretiens avec ce, celles et ceux que je capture », confie Marie Le Gall. Fille d’officier·es dans la Marine nationale, l’artiste grandit entre huit villes, laissant, dans chacune d’elle, une part de son identité. En parallèle d’une maîtrise en lettres à la Sorbonne, puis d’une expérience dans le marketing à Los Angeles, elle développe des projets personnels en continu, le 8e art devenu un fil d’Ariane lui permettant d’unifier un parcours pluriel en racontant l’humain – comme une résonance naturelle de l’autre à soi.

« Ma première rencontre avec le médium s’est faite avec mon obsession pour les albums de ma mère. Son besoin de saisir les souvenirs pour garder une trace de là où nous avons vécu a inspiré ma démarche photographique », poursuit-elle. À l’argentique, Marie Le Gall peint la lumière, qu’elle révèle dans la chambre noire : « ma pratique du tirage fait partie intégrante de ma démarche. Elle me permet de me détacher de la prise de vue et d’investir un nouveau territoire de recherche et de créativité ; une autre réalité », explique-t-elle. Au cœur de cet autre monde qu’elle façonne dans l’obscurité, la photographe parvient alors à transcender sa forme d’expression, à parvenir, par la poésie visuelle, à approcher son objectif : « attendre de l’autre qu’il me livre son récit intime autrement que par le dévoilement de son corps ».

© Marie Le Gall

© Marie Le Gall

© Marie Le Gall
© Marie Le Gall
© Marie Le Gall

Retour au Maroc

Il y a plus d’un an, alors que Marie Le Gall entreprend un périple de 680 kilomètres à pied vers Saint-Jacques de Compostelle, un événement violent fait basculer son aventure, et son existence. « Un an s’est écoulé depuis, au cours duquel je suis repartie dans cinq des huit villes où j’ai grandi, en quête de traces, de bouts de mon histoire à recoller pour réparer », explique-t-elle. C’est ainsi qu’elle redécouvre le Maroc, après vingt ans d’absence. Un retour attendu, qui la confronte à des sensations contradictoires : au soulagement de retrouver une terre anciennement habitée se conjugue l’étrange impression d’être devenue une étrangère dans un espace familier.

Alors, comme pour se réapproprier l’espace image par image, l’artiste se plonge dans les ombres, d’où elle fait émerger des lueurs, des points d’ancrage, des envolées d’oiseaux – ces fragments qui accrochent le regard, tout comme son corps au territoire. « Ce ne sont pas les images de la médina ni des portraits de personnes avec qui je n’aurais pas créé de liens, pas non plus celles de paysages qui répondent à ce que le Maroc peut être dans l’inconscient collectif qui m’intéressent. Je tente de creuser le lien qui me tient à ce pays et qui, depuis mon retour, m’habite et me répare », confie-t-elle.

Partager les sensations

Consciente qu’il lui faut reconstruire, tendre la main, elle apprend le darija, vit en communauté, pose des questions, se plonge dans cette culture qu’elle réapprivoise avec plaisir. Inspirée par Denis Dailleux et sa connexion à l’Égypte, Marie Le Gall accueille l’obsession. Des clairs-obscurs qu’elle souligne aux plumages chatoyants des oiseaux qui rythment ses clichés – « une manière d’invoquer une mémoire fugueuse au pied des légèretés, comme leur vol dans le ciel que je cherche à attraper », précise-t-elle – la photographe trace une calligraphie dans les paysages, écrit une lettre d’amour à son pays d’enfance.

Loin d’un simple récit documentaire, son Maroc déploie son aura dans le monde des songes. Partout, les détails tranchent avec le noir prédominant, comme des éclats d’étoile dans la nuit – celles qui guident l’œil de Marie Le Gall. La croupe d’un cheval, la courbe d’une nuque, le blanc cassé d’un tissu noué, le bec doré d’un animal ou les rides d’une main… Dans une mosaïque colorée, les détails se fondent les uns dans les autres, infimes, mais symboliques. Convoqués pour traduire une intention, pour lustrer la mémoire. Comme une balade dans un bain de souvenirs, les images se font chaudes, veloutées. Elles deviennent des ponctuations restructurant l’odyssée d’un retour attendu, pour partager l’expérience aux autres, dans un dialecte universel.

© Marie Le Gall
© Marie Le Gall
© Marie Le Gall

À lire aussi
Dans l’œil de Mous Lamrabat : baiser anonyme et amours plurielles
© Mous Lamrabat
Dans l’œil de Mous Lamrabat : baiser anonyme et amours plurielles
Cette semaine, plongée dans l’œil de Mous Lamrabat. Actuellement exposé à la Galerie du Château d’Eau, à Toulouse, le photographe…
19 juin 2023   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Les mises en scène engagées de Fatimazohra Serri
Red flags © Fatimazohra Serri
Les mises en scène engagées de Fatimazohra Serri
Âgée de 28 ans, la photographe marocaine Fatimazohra Serri utilise le médium comme un exutoire. De nature controversée, ses clichés…
27 septembre 2023   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Explorez
Sebastião Salgado, cinquante ans de photographie humaniste
© Sebastião Salgado
Sebastião Salgado, cinquante ans de photographie humaniste
Du 1er mars au 1er juin, Les Franciscaines de Deauville présentent une exposition sur Sebastião Salgado en puisant dans les archives de...
04 mars 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Dans l’œil de Jana Sojka : nostalgie filante dans la nuit floue
© Jana Sojka
Dans l’œil de Jana Sojka : nostalgie filante dans la nuit floue
Cette semaine, nous vous plongeons dans l’œil de Jana Sojka, photographe dont nous vous avions déjà présenté les collages. Pour Fisheye...
17 février 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les coups de cœur #532 : Sébastien François et Matthieu Baranger
© Sébastien François
Les coups de cœur #532 : Sébastien François et Matthieu Baranger
Sébastien François et Matthieu Baranger, nos coups de cœur de la semaine, ont fait de l’architecture urbaine la muse de leurs projets...
17 février 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les coups de cœur #530 : Léna Mezlef et Diane Desclaux
© Diane Desclaux
Les coups de cœur #530 : Léna Mezlef et Diane Desclaux
Léna Mezlef et Diane Desclaux, nos coups de cœur de la semaine, nous emmènent en voyage. La première nous fait découvrir l’Amérique...
03 février 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Les Rencontres d’Arles dévoilent la programmation de leur édition 2025
© Photographe amateur anonyme. Sans titre, Houlgate, France, 1931. Avec l’aimable autorisation de l’ancienne Collection Marion et Philippe Jacquier / Don de la Fondation Antoine de Galbert au musée de Grenoble.
Les Rencontres d’Arles dévoilent la programmation de leur édition 2025
La programmation de la 56e édition des Rencontres d’Arles vient d’être dévoilée. La plupart des expositions présentées répondront au...
Il y a 1 heure   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Le langage des fleurs selon des photographes de Fisheye
© Jana Sojka
Le langage des fleurs selon des photographes de Fisheye
Les photographes de Fisheye ne cessent de raconter les préoccupations de notre époque. Parmi les motifs qui reviennent fréquemment se...
20 mars 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Steph Wilson : Une provoc' à soi
Self (WIP) © Steph Wilson
Steph Wilson : Une provoc’ à soi
Entre satire esthétique et image de mode, l'artiste britannique Steph Wilson compose sa série d’autoportraits Self (WIP), un work in...
20 mars 2025   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Des champs de courses aux défilés : l’histoire de la photographie street style
© Séeberger Frères, Les comtesses de Vitrolles et de Miramont au champ de courses, 1925-1930, tirage gélatino-argentique, Achat, coll. Ufac, 1977 / musée des Arts décoratifs
Des champs de courses aux défilés : l’histoire de la photographie street style
Rituel incontournable de la Fashion Week, les clichés pris aux abords des défilés constituent un genre à part entière dont les origines...
19 mars 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet