Une monographie de la photographe américaine Mary T Faria est publiée en cette fin d’année par Datz Press, à Séoul, et porte un nom à l’image de la légèreté mélancolique qui la traverse : Lingering at your window.
Depuis ses débuts dans la photographie il y a plus de vingt ans, Mary T Faria a multiplié les expérimentations et les procédés, du cyanotype au film noir et blanc, pour tenter d’effleurer un rêve de toujours : aller au-delà de nos perceptions de la réalité physique. Ce n’est pas un hasard si dans sa pratique artistique, elle mêle écriture, poésie ou encore couture. Car l’œuvre de Mary T Faria permet la rencontre entre la photographie et le textile : on retrouve par exemple dans Lingering at your window ((En s’/m’attardant à ta fenêtre, en français, ndlr), des cyanotypes de plantes du jardin de son enfance cousus sur de la soie, en clin d’œil à l’artiste Anna Atkins. « J’ai déjà écrit sur les plantes comme étant les anges du monde, car elles prennent la lumière et la convertissent en éléments nutritifs essentiels pour tout ce qui vit sur notre planète », déclare-t-elle avec un lyrisme qui lui est propre.
Au centre de ce que raconte ce projet, on trouve cette perte inévitable : celle de nos parents. Le départ des siens, il y a quelques temps a fait comprendre à l’autrice la solitude de venir au monde, autant que celle d’en repartir. La photographie dans ce cas, devient-elle une manière de répondre à l’absence ? Pas tout à fait, pour Mary T Faria. « Une photographie transmet essentiellement ce mystère de la présence et de l’absence dans le même instant », résume-t-elle. Lingering at your window évoque une disparition, mais aussi l’expérience d’être incarné·e ici et maintenant, à la lisière d’une transition constante. »
Soliloques photographiques
Pour développer l’ensemble de ce travail, Sangyon Joo, fondatrice de Datz Press, et les artistes qui œuvrent pour la maison d’édition ont puisé dans des centaines d’images de Mary T Faria, ainsi que dans les écrits qu’elle avait rédigés au cours des années où elle s’occupait de ses parents à la fin de leur vie. Chacun des éléments qui constituent cet essai expriment les tensions « entre le fait d’être dans un corps physique dans le monde physique, et le désir d’avoir une connaissance au-delà de ces contraintes », explique-t-elle. Il s’agit en partie des objets et des pièces qui ont créé un récit de la vie de mes parents à l’approche de l’autre monde, celui de la mort, et de nous qui vivons dans cet espace intermédiaire, ressentant l’émerveillement, la gratitude, la tristesse, etc. », poursuit-elle avec acuité.
Cette œuvre de notre artiste américaine est ainsi faite de projections, d’ombres et de fantômes, qui rappellent autant l’étrange que ces figures qui nous habitent depuis toujours, celles qui sont là depuis l’aube de nos jours jusqu’à leur crépuscule. « C’est aussi le résultat de ce qui m’a été inculqué dans mon enfance, lorsque j’étais en présence de la façon dont les ombres des arbres et de la végétation dense étaient projetées dans les habitations, remplissant la maison en début de soirée, dans cette forêt pluviale tempérée et ce paysage industriel qu’était l’ouest de la Pennsylvanie, raconte-t-elle. Ces ombres ont été formatrices, elles ont nourri mon imagination et attisé mon désir d’inconnu. Elles ont favorisé une relation entre le familier et tout ce qui reste mystérieux, me poussant à chercher un sens en chérissant les vestiges de l’expérience physique et humaine. »
Une communion queer à la nature
Mary T Faria développe dans sa pratique une sensibilité poétique sans cesse renouvelée à l’égard du médium : « Je pense que la poésie et la photographie sont comme des frères et sœurs. Il me semble qu’elles proviennent d’un endroit très similaire », explique-t-elle. Très influencée par la photographie du 19e siècle, voire par les préraphaélites, elle n’hésite pas à convoquer l’esthétique du spiritisme, qui consistait notamment à faire tourner les tables et communiquer avec les esprits.
Après la danse, l’artiste s’est tournée vers la photographie : d’où peut-être, dans ses images, des allures de chorégraphie dramatique entre les éléments. Connectée au monde naturel, elle encourage chacun·e à approfondir sa propre connexion aux plantes, et façonne, grâce au 8e art, des récits de mondes humains et naturels : « Dans ces histoires, le flux est une constante, explique-t-elle. Elles parlent des conditions, des choix et des mystères qui façonnent les formes que nous prenons et que nous créons. » L’artiste explore le fait d’être à la fois corps et esprit, ainsi que dans un entre-deux. Cet endroit à la croisée des mondes, Mary T Faria le met spontanément en lien avec une expérience existentielle, celle d’être une personne queer : « Je crois que cette expérience émotionnelle, culturelle et politique d’être queer – c’est-à-dire de vivre comme « autre » au sein de la culture dominante – incarne de manière formatrice cet état », affirme-t-elle. L’œuvre à la profondeur aérienne de Mary T Faria se découvre ainsi en un livre au charme mystique.
2023
80$
21 × 26.5 cm
78 pages