Dans Contrapasso, Massimiliano Corteselli évoque les feux de forêt volontaires autour de la Méditerranée. Au travers de ce conte visuel au long cours, inspiré de La Divine Comédie de Dante Alighieri, le photographe italien témoigne d’une situation trouble à laquelle a dû se résoudre la population locale.
Fisheye : Quelle est la genèse de Contrapasso ?
Massimiliano Corteselli : Ma famille vient d’une zone rurale, située à une cinquantaine de kilomètres de Rome, où elle vit simplement. Un jour, mon grand-père, qui était berger, m’a parlé de ces feux de forêt qui affectent la région et qui ne sont pas seulement les conséquences des dérèglements climatiques. Ils sont déclenchés volontairement et sont liés aux structures sociales de cet endroit, aux comportements humains, à leurs émotions, à la corruption… Cela m’intéressait de travailler sur ce qui mène un individu à une action aussi violente. J’ai commencé Contrapasso avec l’objectif de capturer l’histoire de ces personnes de manière ambiguës pour témoigner du trouble. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les visages sont parfois cachés, les poses étranges, les portraits théâtraux…
Qu’est-ce que le contrapasso ?
Le contrapasso est un concept de punition qui provient de La Divine Comédie de Dante Alighieri. Dans ce poème du 12e siècle, l’auteur imagine sa traversée de l’enfer, du purgatoire au paradis, avec le poète romain Virgile. Sur son chemin, il rencontre des personnes qui subissent un châtiment éternel basé sur les péchés qu’elles ont commis dans leur vie. Ce concept ne se trouve pas dans la Bible, Dante l’a inventé et ne le mentionne qu’une seule fois en ces mots : « Ainsi s’observe en moi le contrapasso. » Comme il le souligne, cela part de nous. Nous ressentons en nous les conséquences de nos actions. Cela revient à plusieurs reprises dans l’histoire de mes protagonistes.
« Il est compliqué de comprendre ce qui motive exactement ces actes. Il y a de nombreuses hypothèses, mais aussi des contes que les gens se racontent. »
Pour quelles raisons ces personnes déclenchent-elles des incendies ?
Certaines personnes allument ces feux pour de la spéculation immobilière, pour défricher des terres pour l’agriculture, pour sécuriser leur emploi, se venger… Il est compliqué de comprendre ce qui motive exactement ces actes. Il y a de nombreuses hypothèses, mais aussi des contes que les gens se racontent. Cela a toujours à voir avec les raisons économiques de la région, de la corruption…
Des mesures politiques ont-elles été prises pour mettre un terme à cela ?
Pour être honnête, je ne pense pas qu’il y ait une forte volonté de changer les choses. Des politiques tirent profit de cette situation et se contentent donc bien souvent de dire qu’il s’agit de l’œuvre de pyromanes. Récemment, une loi est tout de même passée : on ne peut plus construire sur un terrain qui a été affecté par les flammes. Mais cela ne suffit pas. Et en même temps, les motifs ne sont pas assez clairs pour légiférer.
Comment la population locale parvient-elle à faire face à la situation ?
Déjà, les personnes touchées reçoivent peu d’aides financières. Le gouvernement fait beaucoup de promesses, mais elles se retrouvent seules, démunies. Parfois, les autres membres de la communauté les aident. La colère qui s’est accumulée crée évidemment un climat de tensions, une défiance envers les politiques. Heureusement, il n’y a que très peu de foyers qui ont perdu leur maison. Je n’ai rencontré qu’une femme, celle de dos, avec de longs cheveux, qui a tout perdu. Dans la plupart des cas, ce sont des terres agricoles ou des parcelles utilisées par des entreprises spécifiques qui sont touchées.
« Ces problèmes sont liés à cette région du sud de l’Italie, où les organisations criminelles et la corruption sont monnaie courante. On a l’impression que les gens se taisent lorsqu’on leur pose des questions, on fait face à l’omerta. »
Quelle impression souhaites-tu laisser à celles et ceux qui découvrent ta série ?
Je souhaite laisser un sentiment de malaise, une impression que tout le monde est impliqué dans ce problème. Parfois, nous gardons le silence et nous ne faisons rien. Nous ne nous regardons pas nous-mêmes alors que, pour arrêter ce cercle vicieux d’avidité, de colère et de vengeance qui a été généré, tout doit partir de nous. Je veux que les gens commencent une introspection et tirent des leçons morales de cela, comme dans les mythes. Dans le contexte de Dante et dans celui qui est le nôtre, il est important de créer des espaces où l’on peut mener des réflexions sur ce qui se passe autour de nous. J’utilise un langage visuel qui dépasse la réalité. C’est pourquoi les couleurs peuvent sembler étranges, le décor inattendu… Tout cela prend place dans notre inconscient, dans notre imaginaire, et tisse des liens symboliques avec la mythologie.
Quelle est la plus grande difficulté à laquelle tu as fait face avec ce projet ?
Sans doute gagner la confiance de ces personnes. Cela a pris du temps avant qu’elles ne me laissent tirer leur portrait. Nous avons passé beaucoup de temps ensemble, eu de nombreuses conversations. Au départ, quand je leur ai parlé de mon travail, beaucoup étaient sceptiques. Personne n’aime être observé et il s’agit d’un sujet sensible. Ces problèmes sont liés à cette région du sud de l’Italie, où les organisations criminelles et la corruption sont monnaie courante. On a l’impression que les gens se taisent lorsqu’on leur pose des questions, on fait face à l’omerta. Dans un autre registre, trouver des fonds pour réaliser cette série a également été compliqué.