Le désir de maternité ne suffit pas pour mettre au monde un enfant. Dans Le vide n’existe pas, Maurine Tric témoigne du parcours du combattant qu’elle a accompli pour réaliser un vœu cher à son cœur : devenir mère. En documentant sa propre PMA, la photographe française, diplômée des Gobelins, compose un récit introspectif sur l’infertilité rempli de pugnacité mais surtout d’espoir. Entretien.
Fisheye : Comment le médium s’est-il immiscé dans ta vie ?
Maurine Tric : J’ai abordé la photographie argentique pendant mes études d’arts appliqués au lycée, mais j’ai réellement eu le déclic un peu plus tard, à l’âge de 20 ans, lorsque j’errais sans école, car je n’avais pas réussi les concours d’entrée aux Beaux-Arts et aux Arts Deco. C’est dans ce flottement que la photographie m’a soutenue et accompagnée. Je découvrais la possibilité de m’exprimer artistiquement sans rester enfermée derrière un bureau et d’utiliser mon environnement comme support de projection de mes émotions. L’appareil a cette capacité de faire écran avec la réalité, de nous distancier, j’aime cette prise de recul.
Rapidement, la photographie s’est imposée à toi comme une catharsis. Comment caractériserais-tu ta pratique ?
Je me laisse beaucoup guider par mon inconscient, mes rêves, et je comprends ensuite en regardant les images le message et la route à prendre. Je ne cherche pas à me définir par un style en particulier, mais plutôt par la manière la plus sincère d‘exprimer mes émotions. Mon univers est poétique, avec une écriture visuelle multiple, symbolique et épurée. Si je devais expliquer ma pratique, j’utiliserais cette citation de l’artiste peintre Pierre Soulages : « C’est ce que je fais qui m’apprend ce que je cherche ».
« J’ai tenté de comprendre pourquoi je me sens hantée par un vide permanent, une sensation de manque que l’impossibilité de la grossesse ne fait qu’accentuer, aggraver. »
À travers Le vide n’existe pas, tu dévoiles un récit visuel autobiographique et intime. De quoi s’agit-il ?
À l’origine de cette série, il y a mon parcours de PMA (procréation médicalement assistée, ndlr). De longues heures d’attente dans les couloirs d’hôpitaux, le ticket comme un sésame vers un avenir incertain, les injections… Puis, trop souvent l’échec et les espoirs qui s’envolent. Se pose alors la question fondamentale de l’intimité perdue dans ce qui devient un acte médical là où il ne devrait se trouver qu’un acte d’amour. Cherchant au-delà des aspects physiologiques, j’ai tenté de comprendre pourquoi je me sens hantée par un vide permanent, une sensation de manque que l’impossibilité de la grossesse ne fait qu’accentuer, aggraver. La psychologie clinique parle de syndrome d’abandon, qui se manifeste par une peur panique de la solitude, une mauvaise estime de soi, une dépendance affective incessante.
Tu utilises des images d’archives, du collage, des dessins, des autoportraits… Peux-tu nous en dire davantage sur ton processus de création ?
Avec l’intuition que cette blessure ne m’appartient pas tout à fait, j’ai enquêté au cœur de ma famille, soulevé peu à peu les multiples couches d’une histoire cachée. Lettres, dessins d’enfant, journal intime de mon grand-père, photos vernaculaires… Je creuse, fouille un passé complexe pour révéler les silences familiaux, les habitudes de non-dits, où les absences maternelles et les difficultés à enfanter récidivent de génération en génération. Pour moi le type de médium n’est pas une fin en soi, j’utilise ce qui sert à mon avis le mieux mon propos. Cette diversité est également l’illustration de toutes les variations qui constituent une personne, et les différentes tentatives pour remplir, combler la peur du vide.
« À défaut de procréer je créais. »
La réalisation de cette série a-t-elle été une thérapie pour toi ?
Totalement, c’est le résultat d’une longue introspection qui n’a été possible que grâce au pouvoir des images, à défaut de procréer je créais. Cela a permis de libérer ma mémoire cellulaire, guérir de vieilles blessures qui ne m’appartenaient pas, transformer ce vide intérieur en présence en soi, mais aussi et surtout ça m’a aidé à combattre la pudeur, l’isolement et la détresse de l’infertilité.
Quelle image résume le mieux cette quête introspective ?
C’est l’autoportrait au voile, car elle possède plusieurs niveaux de lecture qui ne sont pas forcément évidents sans légendes. Elle exprime à la fois :
La honte, d’être différente, marginalisée, lorsque quelque chose d’hyper naturel pour la majorité devient un combat pour vous.
La détresse et la solitude du parcours médical, quand notre corps ne nous appartient plus et lorsque la souffrance, les médicaments, les injections rythment votre quotidien.
La culpabilité de priver son conjoint d’enfant alors qu’il n’a pas de problème de fertilité.
Le voile que j’essaye de lever sur mon histoire familiale, comprendre les blocages.
Le deuil, des mères parties trop tôt, des enfants que certaines n’ont jamais réussi à avoir.
Car paradoxalement, en même temps de cultiver l’espoir, il faut apprendre à faire le deuil d’un être que l’on ne connaitra peut-être jamais.
Quel restera ton meilleur souvenir ?
Le moment où j’ai appris que j’étais enceinte, illustré dans la série par l’échographie des battements du cœur du fœtus.
As-tu de nouveaux projets en tête ?
Depuis que je suis maman, je m’intéresse à la thématique de la maternité. J’ai commencé un projet sur le « désir/devoir d’enfant ». Je souhaite parler des femmes qui ne sont pas mères, célibataires ou en couple, que cela relève d’un choix ou de difficultés à procréer, mais aussi des femmes qui avouent avoir des enfants sans envie, par pression familiale, sociétale, religieuse ou médicale. Socialement, symboliquement, économiquement, identitairement, les femmes doivent répondre de l’absence d’enfant, puisque la maternité continue d’être pensée comme une étape constitutive de la féminité.