Dans Paradise, Maxime Riché révèle les ravages des mégafeux ayant eu lieu en novembre 2018 et en juillet 2021 dans le comté de Butte en Californie. Avec une poésie touchante et un soin porté à l’image, l’artiste ouvre une possible voie de guérison, pour le paysage comme pour celles et ceux qui ont vécu le drame. Cette série est exposée à la Galerie du Crous dans le cadre de PhotoSaintGermain jusqu’au 18 novembre, et à la Bibliothèque nationale de France jusqu’au 9 février 2024.
Un silence monacal déferle sur la colline, au loin pourtant les nuages de fumée s’épaississent et se confondent aux cieux. La plaine est triste, car le sol et les arbres connaissent leur sombre destinée. Nous sommes le 8 novembre 2018, il y a cinq ans de cela, à Paradise, dans le comté de Butte en Californie. En quatre heures seulement, l’incendie Camp Fire se propage et détruit la quasi-totalité des structures de la ville. Dix-huit jours plus tard, le bilan s’élève à 620 km2 de forêt décimée, 13 500 maisons en ruines et un bilan humain qui montait le 3 décembre 2018 à 85 morts, 3 blessé·es, 11 disparus·es et plusieurs dizaines de milliers d’habitant·es déplacé·es. Trois ans après, en 2021, le Dixie Fire fait rage dans ce même comté, s’inscrivant à son tour dans la lignée des feux les plus destructeurs de la Californie. Comment vivre après ça ? Où trouver refuge ? Faut-il fuir ou reconstruire ? Des interrogations qui émergent dans l’esprit du photographe Maxime Riché, le poussant à se rendre sur ce territoire où gisent les décombres de l’urgence climatique.
Pour l’ingénieur de formation, diplômé d’un master en biotechnologie et en sciences de la vie, la question de l’environnement a toujours été au cœur de ses préoccupations. L’envie de s’impliquer davantage pour la cause, de prendre position artistiquement l’amène à s’engager vers la photographie. Il fonde alors Climate Heroes en 2010, une plateforme de narration multimédia autour des initiatives environnementales à travers le globe, qu’il entretient pendant une dizaine d’années. Des années durant lesquelles il affine également son regard, et le dépose peu à peu sur des choses plus tangibles, sur les réalités physiques du monde environnant. « J’avais envie de parler d’endroits où l’excès est de mise, où les gens ne se remettaient pas assez en question. Je dois notamment à Valérie Fougeirol mon départ à Paradise, qui m’a parlé un jour de ce qui se passait. La semaine suivante j’étais sur place. Je savais que je n’allais pas faire de l’actualité, mais plutôt un état des lieux de la situation actuelle. Je souhaitais donner à ressentir l’angoisse qui avait parcouru la ville, qui avait traversé la chair de ses habitant·es, montrer comment iels ont réagi face à cette catastrophe. Arriver surtout à faire comprendre le choix pour certain·es de rester et de reconstruire sur ce territoire détruit. »
Après l’enfer
Afin de rendre compte de ce qui s’est passé, Maxime Riché s’engage alors sur les routes, à la rencontre des personnes qui ont choisi de rester à Paradise. Il s’arrête discuter, passe des heures avec elleux pour échanger, capte, puis recueille des témoignages écrits et audio. Des entrevues qu’il répètera six ou sept fois, durant deux ans, créant ainsi des liens durables avec les sujets de sa série, et des instants profondément marquants. « Il y a un couple qui m’a beaucoup touché. Lorsque je les ai rencontrés, ils m’ont raconté ce qui s’est passé au moment de l’incendie. Tout le monde essayait de quitter la ville par une seule route, les gens se sont retrouvés bloqués dans les bouchons. La femme m’a expliqué que pendant tout ce temps elle avait sa fille au téléphone, mais que la connexion a fini par se couper, puisque toutes les lignes, les antennes radio brûlaient. Heureusement, sa fille est saine et sauve aujourd’hui, mais dorénavant, chaque fois qu’elle perd le contact avec elle, elle a cette peur ancrée au ventre de ne jamais plus la retrouver. C’était très intense de recevoir tout cela, de percevoir le traumatisme partout où j’allais. Malgré tout, les personnes m’ont ouvert leurs portes avec une immense générosité », explique-t-il.
Les horizons semblent être à l’arrêt, l’atmosphère est suffocante dû aux cendres et la fumée qui stagnent dans l’air, la crainte viscérale que tout reparte en fumée occupe les esprits et les corps de la ville. À la tension écologique se mêle une tension émotionnelle qui parcourt chaque paysage et visage dépeint. « Je souhaitais faire ressentir cette émotion visuellement et sensoriellement. C’est pourquoi j’ai utilisé une pellicule proche infrarouge, sensible à la chaleur qu’émettent les objets, et à la lumière. Avoir cette palette de couleurs m’a permis d’aller chercher vers la palette du feu, vers le rouge, le noir et le jaune, vers les flammes. Métaphoriquement, j’accédais à cette chaleur et cette pesanteur », ajoute-t-il. Alors que l’avenir de milliers de personnes à Paradise est en suspens, dans l’attente d’un dédommagement qui n’arrive pas, les images de Maxime Riché envisagent pour autant un après, suggèrent un calme qui s’est immiscé dans le ciel, dans les forêts aux alentours de la ville. Il y a malgré tout un espoir qui éclate dans les teintes et les nuances ocres de la pellicule, une volonté indéniable d’aller de l’avant, et de retrouver l’essence de ce paradis immolé. Plus loin encore, il y a dans le processus artistique du photographe une délicatesse du geste, une volonté d’injecter de la douceur à partir des débris. Une manière de révéler les blessures et d’ainsi entamer une rémission prochaine.
Le livre Paradise sera publié par André Frère Éditions début 2024. Vous pouvez dès à présent y souscrire ici. Les livres de cette souscriptions seront signés, certains contiendront des tirages exclusifs. Qui plus est, en souscrivant vous pourrez bénéficier jusqu’au 18 novembre 2023 inclus, d’une visite privée en compagnie de l’artiste de son exposition Paradise à la Galerie du Crous, durant laquelle il vous expliquera son processus de travail pour créer des tirages uniques des photographies de la série avec la cendre de pin collectée à Paradise.