Melody Melamed : corps, peaux, âmes

23 mai 2024   •  
Écrit par Ana Corderot
Melody Melamed : corps, peaux, âmes
© Melody Melamed
© Melody Melamed
© Melody Melamed
© Melody Melamed

Inspirée par une utopie où tout ne serait qu’harmonie, Melody Melamed compose Shangri-La: The Book of Skin, un ouvrage où les peaux, silhouettes et paysages esquissent une carte d’un territoire fait de matières, de grâce et d’acception de soi.

Dans son roman Lost Horizon, James Hilton imagine un lieu de vie coupé du reste du monde, dans les montagnes escarpées du Tibet, où tout ne serait qu’harmonie entre les êtres et l’univers. Cette société utopique, qu’il baptise Shangri-La, est celle dont s’est inspirée la photographe Melody Melamed afin de composer son ouvrage Shangri-La: The Book of Skin, édité par Kris Graves Projects. Armée d’un regard philosophique, elle a à son tour imaginé un espace où les corps et les peaux dialoguent en osmose avec la nature. « Je photographie la peau ainsi que l’environnement qui nous entoure en alternant les diptyques et les portraits afin d’imiter la relation privilégiée que nous entretenons avec cette Terre que nous habitons. Nos corps queers imitent et reflètent le perfectionnisme de la nature pour nous rappeler que nous sommes connecté·es à elle, et que nous en sommes issu·es », explique-t-elle.

Originaire de Los Angeles et titulaire d’un diplôme de l’UCLA ainsi que d’un master en photographie, vidéo et médias de la School of Visual Arts de New York, Melody Melamed explore les notions d’identité de genre, de sexualité et de dualité entre masculinité et féminité. Dans Shangri-La: The Book of Skin, elle aborde le concept d’euphorie de genre, une vision positive de l’exploration de l’identité transgenre ou non binaire. Souhaitant créer un « répertoire de l’euphorie queer », elle collabore avec divers·es ami·es et membres de sa communauté et élabore une série qui répond à ses interrogations : « Quand nous parlons d’euphorie, que cherchons-nous ? Un sentiment dans le corps, ou dans l’esprit ? Peut-être les deux. Comment notre identité définit-elle notre sens de l’euphorie ? Que nous disent nos corps, notre peau, sur qui nous sommes et comment nous nous tenons fort·e·s en nous-mêmes ? »

La peau est un organe pensant

De toutes ces réflexions naissent des images où le genre (souvent source d’aliénation, de contrainte ou de saturation) s’efface pour laisser place à une acceptation des corps et des peaux, véritables expressions de l’essence des êtres. L’environnement qui entoure les corps humains devient alors complice de ce qui les meut. « Le travail se concentre sur la peau et le rôle qu’elle joue dans notre existence. En me référant au livre de l’auteur britannique Steven Connor, dont le nom (The Book of Skin) a inspiré mon projet, j’explore les multiples fonctions de la peau dans les cultures occidentales. J’adopte essentiellement la théorie de l’auteur selon laquelle la peau est un organe pensant et une forme de pensée en soi. “Pensez à quel point il est difficile de penser sans toucher votre peau”, écrit Connor, “Votre doigt sur vos lèvres, par exemple. Vous vous touchez, vous vous sentez et vous vous sentez en train de vous sentir. Vous êtes simultanément un objet dans le monde et un sujet qui se donne naissance à lui-même en avançant pour rencontrer le monde dans cet objet.” Dans cette observation des corps changeants en dialogue avec la nature – également changeante –, nous réalisons à quel point il est difficile de penser à la peau comme une simple matière parce que, comme je le suggère, la peau est ce avec quoi nous pensons », ajoute l’artiste.

Une fois mises à nu, les peaux plurielles deviennent toiles, cristallisent les joies, les traumatismes et les histoires visibles ou imperceptibles des personnes photographiées. Les plaies ainsi que les cicatrices s’invitent dans le paysage, elles sont signe de vie. Il n’y a pas de gêne, car le regard des autres n’a plus d’incidence négative. il est gage de bienveillance. Douceur et volupté s’entremêlent dans les fruits qui poussent sur les arbres, dans les poils qui protègent l’aisselle, et dans la glaise qui compose le sol. Les saisons, tout comme les nuages, traversent les pages pendant que les corps évoluent, se transforment. Ode à l’acceptation de soi, Shangri-La: The Book of Skin nous rappelle que c’est dans et par notre corps que nous nous inscrivons dans le monde et que nous rencontrons autrui. Il nous est donné de l’honorer, jusqu’à ce que l’on s’évanouisse dans la nature.

© Melody Melamed
© Melody Melamed
© Melody Melamed
© Melody Melamed
© Melody Melamed

© Melody Melamed
© Melody Melamed
© Melody Melamed

© Melody Melamed

À lire aussi
Fisheye #65 : engageons-nous avec Fierté
© Michael Oliver Love
Fisheye #65 : engageons-nous avec Fierté
Le dernier numéro de Fisheye, Fiertés, arrive très prochainement dans les kiosques et sur le store. Porté par la pride, le magazine…
06 mai 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Zanele Muholi : tendres portraits et féroces batailles
Zanele Muholi : tendres portraits et féroces batailles
Jusqu’au 21 mai 2023, la Maison européenne de la photographie accueille la rétrospective de Zanele Muholi, artiste et activiste. Une…
06 février 2023   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Explorez
Fisheye #73 : vivre d'Amour et d'images
© Jenny Bewer
Fisheye #73 : vivre d'Amour et d’images
Dans son numéro #73, Fisheye sonde les représentations photographiques de l’amour à l’heure de la marchandisation de l’intime. À...
Il y a 7 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
RongRong & inri : « L'appareil photo offre un regard objectif sur le sentiment amoureux »
Personal Letters, Beijing 2000 No.1 © RongRong & inri
RongRong & inri : « L’appareil photo offre un regard objectif sur le sentiment amoureux »
Le couple d’artiste sino‑japonais RongRong & inri, fondateur du centre d’art photographique Three Shadows, ouvert en 2007 à Beijing...
04 septembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Dans l’œil de Valentine de Villemeur : un réfrigérateur révélateur
© Valentine de Villemeur
Dans l’œil de Valentine de Villemeur : un réfrigérateur révélateur
Cette semaine, nous vous plongeons dans l’œil de Valentine de Villemeur. La photographe a consigné le parcours de sa procréation...
01 septembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Yu Hsuan Chang : des femmes et des montagnes
G-Book © Yu Hsuan Chang
Yu Hsuan Chang : des femmes et des montagnes
Dans des collectes effrénées d’images, la photographe taïwanaise Yu Hsuan Chang transcrit autant la beauté de son pays que la puissance...
25 août 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Sandra Calligaro : à Visa pour l'image, les Afghanes sortent de l'ombre
Fahima (17 ans) révise dans le salon familial. Elle suit un cursus accessible en ligne sur son smartphone. Kaboul, Afghanistan, 24 janvier 2025. © Sandra Calligaro / item Lauréate 2024 du Prix Françoise Demulder
Sandra Calligaro : à Visa pour l’image, les Afghanes sortent de l’ombre
Pour la 37e édition du festival Visa pour l’Image à Perpignan qui se tient jusqu’au 14 septembre 2025, la photojournaliste Sandra...
Il y a 2 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
Fisheye #73 : vivre d'Amour et d'images
© Jenny Bewer
Fisheye #73 : vivre d'Amour et d’images
Dans son numéro #73, Fisheye sonde les représentations photographiques de l’amour à l’heure de la marchandisation de l’intime. À...
Il y a 7 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
Nicole Tung, ultime lauréate du Prix Carmignac !
Diverses espèces de requins, dont certaines sont menacées d'extinction, tandis que d'autres sont classées comme vulnérables, ont été ramenées à terre à l'aube par des pêcheurs commerciaux au port de Tanjung Luar, le lundi 9 juin 2025, à Lombok Est, en Indonésie. Tanjung Luar est l'un des plus grands marchés de requins en Indonésie et en Asie du Sud-Est, d'où les ailerons de requins sont exportés vers d'autres marchés asiatiques, principalement Hong Kong et la Chine, où les os sont utilisés dans des produits cosmétiques également vendus en Chine. La viande et la peau de requin sont consommées localement comme une importante source de protéines. Ces dernières années, face aux vives critiques suscitées par l'industrie non réglementée de la pêche au requin, le gouvernement indonésien a cherché à mettre en place des contrôles plus stricts sur la chasse commerciale des requins afin de trouver un équilibre entre les besoins des pêcheurs et la nécessité de protéger les populations de requins en déclin © Nicole Tung pour la Fondation Carmignac.
Nicole Tung, ultime lauréate du Prix Carmignac !
La lauréate de la 15e édition du Prix Carmignac vient d’être révélée : il s’agit de la photojournaliste Nicole Tung. Pendant neuf mois...
04 septembre 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
RongRong & inri : « L'appareil photo offre un regard objectif sur le sentiment amoureux »
Personal Letters, Beijing 2000 No.1 © RongRong & inri
RongRong & inri : « L’appareil photo offre un regard objectif sur le sentiment amoureux »
Le couple d’artiste sino‑japonais RongRong & inri, fondateur du centre d’art photographique Three Shadows, ouvert en 2007 à Beijing...
04 septembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger