Lauréat du prix IV Star Photobook Dummy Award pour sa série Our Hidden Room, le photographe anglo-égyptien Mohamed Hassan mêle, à des photos retrouvées de son père à Alexandrie, ses propres clichés. Au centre de cette approche ? La double nationalité de l’auteur et la bipolarité de ce père à la fois militaire et photographe, parent et malade. Une enquête sensible entre trauma et identités multiples.
Installé à Pembrokeshire, Galles de l’ouest, depuis 2007, Mohamed Hassan s’est mis à la photographie sur le tard, à trente ans, après le décès de ses parents. Il tire ainsi son inspiration de la relation aimante, mais complexe qu’il entretenait avec son père : « Après des années passées à ressentir le poids de la migration et du déplacement, je me suis retrouvé à me débattre constamment avec la question de l’appartenance, en particulier dans le contexte de l’expérience diasporique au Pays de Galles. Cette tension intérieure, combinée aux souvenirs fragmentés de mon enfance et aux luttes de mon père contre le trouble bipolaire, a commencé à faire surface dans mon processus créatif » explique-t-il. Naît alors un mélange troublant, entre les archives familiales – photographie inoubliable du père avec son boîtier, regard intense, corps arqué – et la narration des corps masculins sous le soleil égyptien.
Le corps comme une manifestation physique des batailles intérieures
« Plutôt que de représenter directement la maladie elle-même, j’utilise les paysages et les silhouettes, comme métaphores de cette lutte interne. Le corps masculin, en particulier, a du poids dans mon travail en raison du lien avec mon père, dont la santé mentale a profondément affecté son identité en tant qu’homme dans la société. L’enveloppe corporelle devient ici un lieu de tension, une manifestation physique des batailles intérieures invisibles. À bien des égards, je les vois dans mes images comme un reflet de la fragilité, de la force et de la vulnérabilité que la maladie mentale fait souvent remonter à la surface » précise-t-il. S’y mêlent aussi des animaux, métaphores quasi animistes d’un esprit qui s’asphyxie par lui-même, ou qu’il faut sans cesse calmer – tout comme ce faucon farouche retenu par un poing.
Contrepoints comme respirations, les paysages égyptiens installent, dans la grande tradition du cinéma d’Ingmar Bergman dont le photographe revendique l’influence, une lecture non linéaire du trouble psychologique. « Les grands espaces reflètent le désir de se libérer des contraintes du traumatisme et du désordre, mais ils représentent également l’isolement que la maladie mentale peut imposer. Ils offrent une toile de fond d’immensité et de solitude, contrastant avec la présence intime, parfois troublée, du corps. Il symbolise à la fois la fuite et l’enfermement dans l’état mental », décrypte-t-il.
La photographie pour refléter ses conflits internes
Mais cette dimension intime s’insère également dans l’histoire égyptienne. Entré dans l’armée nationale dès ses seize ans, vétéran de la guerre de Kippour de 1973 (guerre entre Israël opposé à l’Égypte et la Syrie, ndlr) qui laissera sur lui une impression indélébile, le père de Mohamed Hassan se met en parallèle, armé d’un Yashica 35mm, à la photographie. Il capture des évènements de l’armée, des officiers et leurs familles. « La guerre l’a marqué, non seulement dans sa façon de s’engager, mais aussi dans la manière dont il a géré ses propres luttes intérieures, en particulier son trouble bipolaire » constate l’auteur. Émerge alors cette sensation d’isolement qui semble habiter l’artiste et contre laquelle il lutte. Ce besoin de multiplier les portraits, les peaux, les visages, pour les rendre tour à tour doux, comme un énigmatique sourire, ou douloureux comme cette lame de rasoir qui vient tracer un triangle sur la peau. Du collectif donc, naît en négatif la dimension réparatrice de cette série intense : quête de soi qu’un pays seul ne circoncit pas et que l’auteur a retrouvé ailleurs. « En voyageant du Pays de Galles à l’Égypte, j’ai rencontré des personnes et des paysages qui reflétaient mes propres conflits internes – entre le passé et le présent, l’appartenance et l’aliénation. Ces rencontres et ces expériences ont progressivement façonné le cœur de cette série, me permettant d’explorer visuellement non seulement ma propre histoire, mais aussi les thèmes plus larges de l’identité, du déplacement et de la complexité humaine », conclut-il.