Jusqu’au 3 août 2025, le parcours Art et Patrimoine en Perche #06 place la création contemporaine au cœur de cette région verdoyante. À cette occasion, les œuvres d’une vingtaine d’artistes utilisant le dessin, la peinture, l’aquarelle, la sculpture, la sérigraphie et la photographie occupent des lieux d’exception.
Une ambiance festive et conviviale anime le parcours Art et Patrimoine en Perche. Cette sixième édition s’inscrit dans le sillage des précédentes. Les artistes comme les bénévoles partagent la joie d’être là, de prendre part à un tel festival et de découvrir le travail des autres. « On parle beaucoup des petits villages de caractère, mais je crois qu’on peut parler des caractères du Perche. Et les ruraux ne sont pas du tout en reste, parce qu’il y a des gens superbes. Ici, tout le monde se mélange », assure Christine Ollier, à l’initiative de la manifestation. Celle qui se décrit « comme une chef d’orchestre qui aime s’entourer de passionnés » valorise des biens séculaires en les transformant en des écrins de la création contemporaine. Elle se plaît ainsi à trouver des résonnances entre les œuvres et les lieux, qui changent chaque année. Certains d’entre eux ont d’ailleurs pu ouvrir leurs portes grâce à l’engouement des propriétaires. « Si, aujourd’hui, il y a le manoir de Soisay ou le jardin de Montperthuis, c’est parce que des personnes qui souhaitaient faire partie du parcours sont venues me voir », explique-t-elle.
La blessure des non-dits
La visite commence au château de Maison-Maugis. Seuls le chant des oiseaux et le bruit des pas foulant la cour sablée rompent le silence. L’esprit vagabonde et nous imaginons volontiers l’existence qui a pu se jouer en ces lieux. Tout compte fait, ces pensées diffuses nous préparent à l’exposition de Mathilde Eudes. Dans Non Obscura, elle s’intéresse à la famille, aux réalités connues et cachées qui façonnent les liens. Ses compositions en noir et blanc montrent la maison dont elle a hérité et qu’elle a dû vendre. Réalisées le jour du déménagement, elles prennent désormais la forme « d’images mentales », ornées de touches de doré, une nuance s’imposant comme le « symbole entre le haut et le bas ». À la manière du kintsugi, l’artiste répare ainsi les blessures causées par les non-dits, sans les révéler pour autant au public. Au centre de la pièce, des mouchoirs en tissu, dénichés dans les armoires de ses ancêtres, sont disposés sur des tables. Des lampes métalliques les éclairent, comme s’il s’agissait d’objets d’études. S’ils présentent quelques usures du temps, ils témoignent tout autant d’un passage. Par le passé, ils ont dû éponger des larmes. Aujourd’hui, ils absorbent des lettres manuscrites, un flux de conscience sibyllin qui exprime les maux.
La mémoire collective
Lisa Sartorio articule également son œuvre autour de ce que les êtres dissimulent. La Fleur au fusil, présenté à la cour Bellême, propose un autre regard sur les blessés de guerre. Leur visage altéré apparaît derrière des superpositions de fleurs, symbole de la beauté classique, découpées avec une précision chirurgicale. Les stigmates se devinent alors subtilement. Tout en recouvrant la peau, cette multitude de détails demande à prendre le temps d’observer, à faire face à une réalité trop souvent occultée. Dans un autre genre, un peu plus loin, Sandra Städeli donne à voir une déclinaison de plantes. Leurs contours se fondent dans l’obscurité et invitent à s’approcher.
Au jardin de Montperthuis, Guénaëlle de Carbonnières sonde tout autant la mémoire collective. Construite par strates, son œuvre monochrome s’intéresse aux vestiges. Un voilage flou, sur lequel se dessine une bâtisse, scinde l’espace en deux parties. À l’entrée, des cités englouties se dévoilent sur les cimaises. Quelques plaques de verre, gonflées de bulles d’air, laissent paraître d’autres infrastructures. Au fond, des lignes d’horizon habillent des pierres qui jonchent le sol. Les différentes installations interrogent alors les transformations du paysage urbain, ce qui restera de ces immeubles en béton qui abritent tant de vies. Juliette Agnel creuse davantage en profondeur. Le château des Feugerets accueille, selon ses mots, « un travail minéral qui relie plusieurs séries, plusieurs périodes ». Des territoires chaotiques se mêlent ainsi aux étoiles. La grotte privée, dans laquelle elle est entrée avec une lampe à lumière vacillante pour seul éclairage, laisse paraître des formes étonnantes. Il y a également des portraits de silex. Une autre époque se découvre. Face à l’immensité irrationnelle du paysage et du temps, nous nous sentons minuscules. Quoiqu’elle puisse sembler effrayante, cette réalité est aussi rassurante. Elle comporte une dimension universelle, tout comme la notion de l’intime qui traverse le parcours Art et Patrimoine en Perche.