Dans une approche qui lui est propre, Sophie Calle façonne son œuvre à partir de récits intimes. Ce style singulier lui vaut d’être l’une des grandes sources d’inspiration des nouvelles générations de photographes. À l’occasion de Finir en beauté, exposé jusqu’au 29 septembre prochain aux cryptoportiques d’Arles, revenons sur son influence.
Sophie Calle se distingue par une pratique reconnaissable au premier coup d’œil. De fait, sa maîtrise de la narration lui permet de déployer des récits qui laissent toujours une empreinte chez celui ou celle qui les reçoit. Dans ses créations qui conjuguent habilement texte et photographie, l’intime devient une matière infinie. Pétrie d’humour, de hasard et de concepts, elle brouille quelquefois les frontières entre fiction et réalité. Elle nous interroge alors, nous pousse à appréhender le monde sous un autre prisme. En ce moment même, dans le cadre des Rencontres d’Arles, l’artiste française dévoile Finir en beauté, dans les profondeurs des cryptoportiques de la ville. L’exposition témoigne une fois de plus de son sens de la présentation et s’intéresse à la disparition. À rebours de ce thème si cher à son cœur, il est déjà certain que l’héritage qu’elle laissera derrière elle ne tombera pas dans l’oubli tant son influence demeure.
Au cours de nos différents entretiens réalisés pour Fisheye, un certain nombre de photographes a évoqué son inclination pour le grand œuvre de Sophie Calle. C’est notamment le cas de Caroline Heinecke, de Diane Meyer, d’Alice Khol et d’Adeline Rapon, quatre artistes venues d’Allemagne, des États-Unis ou de France. Malgré une source d’inspiration commune et des projets gravitant autour de l’intime, les mises en scène décalées, les broderies sur images d’archives, les portraits ou encore les associations de tirages et de textes sont autant de procédés qui les distinguent.
Un goût pour la création ludique
Dans le sillage de la photographie conceptuelle portée par Sophie Calle, Caroline Heinecke compose des natures mortes insolites et pleines d’humour afin d’explorer « des recoins qui n’ont pas encore été trop éclairés ». « La réalité reflétée dans mes images semble légèrement éloignée, bidimensionnelle, pour ainsi dire centrée et vivante dans son immobilité. À partir de choses et de situations mises en scène, je crée un monde visuel qui aborde des thèmes tels que les sociétés de niche, l’alimentation, l’identité et l’avenir », nous expliquait-elle.
Dans un tout autre registre, Diane Meyer partage ce goût pour la création ludique. Au fil de ses séries, l’artiste convoque les souvenirs, aussi bien personnels que collectifs, qu’elle recouvre ensuite de points de croix aux airs de pixels, qui évoquent l’imprécision qui s’installe dans nos esprits à mesure que le temps passe. « Les œuvres de Sophie Calle m’ont toujours fascinée. Plusieurs de ses projets ont été importants pour moi à différents moments, nous confiait-elle. Je suis particulièrement attirée par la façon dont son travail aborde la nature fragile de la mémoire, l’utilisation d’un appareil photo comme prétexte à l’exploration et à la recherche, l’élément de hasard, la narration et le mélange de l’art et de la vie. »
Les multiples perceptions d’un même sujet
L’idée de transformer la vie privée en une excuse à la création se retrouve également chez Alice Khol. « J’aime utiliser l’intime comme un prétexte, une matière qu’il est possible de mettre à distance grâce à l’art. Je travaille à partir de questionnements ou de blessures intimes et je trouve ensuite des échos chez les autres, afin de recréer un lien, ou juste rire de nos échecs », répondait-elle après avoir mentionné la démarche de Sophie Calle. Dans un ouvrage intitulé 365 degrés (d’amour), l’autrice allie ainsi photographies et témoignages en tout genre. Ici, captures d’écran de conversations téléphoniques, textes en pleine page ou en légendes viennent accompagner des portraits classiques ou plus atypiques, apparaissant dans des reflets ou par fragments.
La parole prend également une place centrale dans les projets que signe Adeline Rapon. « Dernièrement, c’est la rétrospective de Sophie Calle au musée Picasso qui m’a inspirée. Faire de l’intime un récit direct, mais aussi cette façon particulière d’associer les mots, les pensées, les blagues, chercher les points de vue des autres, forcer [le public] à lire et à se mettre dans les chaussures de l’autre… », déclarait-elle en mars. De fait, l’exposition faisait écho à certains de ses thèmes de prédilection. Nourrie de ses remises en question personnelles, l’artiste antillaise conçoit ses séries, telles que Fanm Fô ou encore Vie et Mort, comme des moyens de renouer avec ses origines par le biais d’un regard féminin. Autoportraits et images documentaires ou oniriques se conjuguent alors au gré de ses réflexions. Un système de résonances se révèle enfin et souligne les multiples perceptions que nous pouvons avoir d’un même sujet ou d’une même source d’inspiration.