Le palmarès du prix Picto de la Mode 2025 : la mode au croisement des enjeux contemporains

16 juin 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Le palmarès du prix Picto de la Mode 2025 : la mode au croisement des enjeux contemporains
Symbiose © Arash Khaksari
Du far à paupières
Call time © Jean Marques

À l’occasion de la 27e édition du prix Picto de la Photographie de Mode, la cour du Palais Galliera s’est transformée en un lieu de célébration de jeunes talents qui s’emparent de la mode comme outil d’exploration du monde contemporain. Le jury, présidé par la journaliste et styliste Daphné Bürki, a dévoilé le palmarès le jeudi 12 juin 2025, sous un soleil radieux.

Depuis 1998, le prix Picto de la Photographie de Mode, initié par les laboratoires PICTO, s’attache à soutenir les photographes de mode dans leur parcours professionnel. Cette 27e édition, présidée par la journaliste de mode et styliste Daphné Bürki, révèle des talents émergents qui n’hésitent pas à s’emparer de l’image de mode comme moyen d’engagement. « On a mis des heures à débattre sur les travaux des 25 finalistes, adresse Daphné Bürki à la foule rassemblée pour l’annonce des lauréat·es. On a vu du feu, on a vu du style, on a vu beaucoup de mode. » Des noms commencent à être dévoilés. Anna Leonte Loron reçoit la dotation LGA Management / Janvier pour ses clichés pétillants de femmes dégustant à pleine bouchée des mets d’ici et de là. Le photographe de renom Paolo Roversi remet en personne la dotation Filippo Roversi à Steve Ney, qui a amené, avec délicatesse, un peu de ses souvenirs d’Inde. La dotation le19M de la Photographie des Métiers d’art est décernée au designer graphique et photographe Jean Marques qui dressent en image le planning serré des mannequins, sans filtre ni artifice. Après les applaudissements, le silence s’installe. Qui sera le ou la lauréat·e du grand prix Picto de la Photographie de Mode ? La présidente du jury sème, dans son discours, quelques indices, pour celles et ceux qui auraient étudié avec attention les portfolios des finalistes mis à disposition. « Cela se voit qu’il aime profondément la mode, souffle-t-elle. Sa photographie est organique et poétique. Le grand gagnant du prix Picto de la Mode est Arash Khaksari ! » Coincé dans les embouteillages, l’auteur fera son apparition quelques minutes plus tard, traversant une haie d’honneur.

Un collier de glaçons
Anatomie des fluides © Sacha Luisada
Trois personnes tenant des valises à la main dans la rue
Dunusa © Jack Markovitz
Un homme et une femme sur une moto la nuit
Sài Gòn Đẹp Lắm © Clément Jurkew

Être écoresponsable

La mode est vectrice d’enjeux contemporains. Le respect de l’environnement et l’engagement écologique sont au cœur des travaux des lauréat·es et finalistes de cette 27e édition. Arash Khaksari, gagnant du grand prix Picto de la Photographie de Mode, tisse des liens entre les êtres humains, la nature et l’éphémère dans ses compositions visuelles aux couleurs de la terre et des arbres. « Sa série Symbiose nous a époustouflés, précise Daphné Bürki. C’étaient des vêtements vivants, une mode qui respire, qui pousse, qui se décompose. » Les modèles qui posent devant son objectif arborent les créations de Dasha Tsapenko, réalisées en matériaux biodégradables. Cette danse contemporaine entre les corps et la matière organique redéfinit les codes de la mode : elle se métamorphose en œuvre fugace et fragile, pourtant pleine de force. « Le travail de Dasha m’inspire énormément, confie le photographe. Avec cette série, je voulais réunir la nature qui vient et qui repart avec les cycles de la mode qui changent. » Arash Khaksari nous interroge autant sur notre consommation de la mode que sur la beauté et la puissance de notre environnement. « Cette connexion prend vie à travers les mouvements des modèles qui représentent le vent, les voltiges des oiseaux ou les saisons qui tournent, mais aussi les moments de respirations et de vides », poursuit-il.

Clément Jurkew, finaliste, lui aussi, s’intéresse à l’impact de la mode sur l’environnement. Dans sa série Sài Gòn Đẹp Lắm, il sonde le monde sous-terrain de l’upcycling à Hô Chi Minh-Ville (anciennement Saïgon). Il suit la nouvelle génération qui se soulève contre la fast fashion et célèbre la richesse textile de la culture vietnamienne. Croisant l’image de mode avec une approche documentaire, le photographe, formé à l’école des Gobelins, dévoile avec humanité la créativité débordante de ces jeunes qui mettent leur art au service de l’écologie, tout en dénonçant l’aspect néfaste de la surproduction de vêtements sur la planète.

Portrait d'une femme indienne
Our India © Steve Ney
Une main avec un liquide qui coule des doigts
Silence © Héloïse Béghin
Image tressée corps qui pose avec un sac
Entrelacs © Manon Bailo

La mode du documentaire

La mode investit de plus en plus le champ documentaire, autant que le documentaire s’inspire de la photographie de mode. Steve Ney, photographe parisien, né d’une mère originaire de Pondichéry, navigue dans l’effervescence des rues indiennes. « À travers ces images, j’ai voulu vous montrer ce que j’ai vécu, traversé en Inde, vous donner un brin de mes souvenirs », confie l’artiste. Dans une esthétique Kollywood (le cinéma tamoul, ndlr), il compose des récits à l’interstice de la tradition et de la modernité dans lesquels la mode lui sert de pinceau pour mettre en valeur « les belles couleurs de l’Inde et partager un bout de la culture de [sa] mère ».

Jean Marques, un designer graphique et photographe, propose quant à lui une exploration visuelle dans les coulisses des défilés de mode. De manière crue, il saisit les instants où la beauté n’est pas encore façonnée, où le stresse monte dans l’urgence des plannings serrés des modèles au timing précis, dicté par le call sheet – 6 heures traiteur, 11 heures styling, 14 heures 30 ongles, 19 heures défilé, etc. –, qui a par ailleurs donné nom à sa série : Call Time. « Alors qu’on est abreuvés d’images avec des filtres, Jean Marques a su faire de la mode sans artifices », le félicite Daphné Bürki lors de la remise des prix. Dans le chaos, il documente les choses cachées avec audace et poésie brute, qui lui valent la Dotation le19M de la Photographie des Métiers d’art.

Casser les codes

S’il y a bien une chose que chacun·e des finalistes a su faire dans ses travaux photographiques, c’est s’opposer aux conventions. Anna Leonte Loron s’en prend directement aux codes de la féminité dans la mode qui cantonne les femmes à se satisfaire d’une feuille de salade pour rester dans la limite de poids imposée dans le milieu. Avec sa série, mêlant images fixes et audiovisuelles, Les femmes ont faim, l’artiste remet en question les stéréotypes autour des femmes et de la nourriture. Avec douceur, elle les saisit, s’adonnant aux plaisirs de la bouche sans se soucier des normes sociétales. Son processus de création suit par ailleurs cette logique de la délectation. « Comme en cuisine, je m’amuse en photographie. Je joue avec les ingrédients, je cherche des goûts, des teintes acidulées ou suaves », détaille-t-elle. Des huîtres par dizaines, des crèmes glacées dégoulinantes, des soupes de nouilles savoureuses, une table joyeuse où se dresse un festin. Le bonheur est palpable sur les clichés d’Anna Leonte Loron. C’est peut-être d’ailleurs ce que les photographes ont souhaité montrer dans cette 27e du prix Picto de la Photographie de Mode : s’affranchir des diktats, s’amuser et laisser libre cours à son imagination.

Une femme mange des pâtes
Les femmes ont faim © Anna Leonte Loron
Une personne avec le visage recouvert
Facial Reaction Occurring © Mai Yoshida
Des cônes de glace sur des chaussures sur la plage
Veri, Orangina & Aperol Spritz © Sofía París et Andreu de Pedro
Un chat blanc sur une fauteuil rose bonbon
Childless Cat Ladies © Lisa Miquet
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