Dans sa série Pure Semblance, Rosie Clements ne capture pas seulement des images, elle leur donne une existence en tant qu’objet à part entière. En imprimant ses clichés sur du papier bulle, elle crée des œuvres qui oscillent entre illusion et matérialité, rendant floue la frontière entre le numérique et le physique.
Tout a commencé par une fascination pour une imprimante UV qui captive son attention dès le deuxième jour de ses études supérieures à l’université du Texas. Après plusieurs tests d’impression peu concluants sur des pierres, de la fausse fourrure ou encore des dalles de plafond en polystyrène, Rosie Clements trouve une feuille de papier bulle sur un trottoir et décide d’y appliquer l’une de ses photographies. « Les bulles ont créé une sorte de pixellisation dimensionnelle qui m’a beaucoup plu », se remémore l’artiste installée à Los Angeles. En utilisant la lumière plutôt que la chaleur pour faire sécher l’encre, l’imprimante UV ouvre de nombreuses possibilités novatrices concernant les supports. Mais, ses caractéristiques techniques font d’elle une machine où le hasard se conjugue avec le contrôle. « Il faut régler la hauteur de la tête d’impression en fonction du point le plus élevé du matériau, puis l’encre est pulvérisée de manière uniforme. Dans le cas du papier bulle, cela signifie qu’on obtient des détails précis sur le sommet des bulles, tandis que les espaces entre elles deviennent obscurs ou complètement abstraits », précise l’artiste. Dans Pure Semblance, les images et la surface ont été délibérément choisies, mais il était impossible pour Rosie Clements d’anticiper leur interaction.
Composition et perception
Loin d’être un simple procédé technique, ce projet questionne notre rapport aux images. En s’intéressant à ce qu’un visuel peut être dans le monde d’aujourd’hui, Rosie Clements repousse les limites de la photographie. Tout comme un écran de téléphone, le papier bulle devient une métaphore de notre consommation d’images, où la proximité physique ne garantit pas une véritable compréhension visuelle. Plus on s’approche, plus le cliché se décompose, à l’instar des pixels qui se dévoilent lorsqu’on zoome sur une photographie numérique. « Dernièrement, j’ai exposé ces tirages dans des boîtes en plexiglas qui présentent selon moi une belle contradiction au niveau de la texture – une surface fragile et douce que l’on a vraiment envie de toucher et d’éclater, piégée sous une paroi lisse. Cela reflète la façon dont nous percevons la plupart des images, confinées derrière des écrans de verre que nous faisons défiler du bout des doigts », explique la photographe. Dans un monde où les images ne cessent de s’enchaîner, Rosie Clements nous encourage à regarder notre univers d’une autre manière.