Enjeux sociétaux, crise environnementale, représentation du genre… Les photographes publié·es sur Fisheye ne cessent de raconter, par le biais des images, les préoccupations de notre époque. À travers des prismes différents, des angles et des pratiques variés, toutes et tous se font les témoins d’une contemporanéité en constante évolution. Parmi les thématiques abordées sur les pages de notre site comme dans celles de notre magazine se trouve la mode. Par l’intermédiaire de portraits colorés, de silhouettes floues ou de natures mortes expérimentales, des artistes ont tissé des narrations singulières afin de renouveler le genre. Aujourd’hui, lumière sur Sarah Moon, Hugo Mapelli, Chiron Duong et Kamila K Stanley.
La photographie et notre conception moderne de la mode ont beaucoup en commun. Toutes deux ont émergé au 19e siècle avant de prendre une tout autre ampleur le siècle suivant. Étroitement corrélées, elles ont ainsi évolué main dans la main. Au fil des décennies, le 8e art a offert de la visibilité à la création vestimentaire tandis que cette dernière, par l’intermédiaire des magazines, s’est imposée comme un terrain de jeu sans pareil. Il n’est d’ailleurs pas anodin qu’un certain nombre de photographes de renom aient officié dans la mode au cours de leur carrière. Sarah Moon, Hugo Mapelli, Chiron Duong et Kamila K Stanley font partie des artistes qui ont choisi cette discipline pour expérimenter avec le médium. Leurs recherches témoignent de deux préoccupations : célébrer l’héritage du passé tout en mettant en lumière d’autres logiques de consommation, tournées vers l’éveil des sens et des imaginaires.
Des approches jouant de l’héritage
Si toutes et tous cherchent à renouveler le genre, leur démarche s’inscrit bien souvent dans le prolongement d’un héritage. Pour réaliser ses compositions, Hugo Mapelli a recours à des procédés tombés dans l’oubli pour la plupart. « J’aime créer des liens entre ces techniques anciennes et les outils contemporains. J’ai envie de proposer une nouvelle façon d’entrevoir la pratique argentique », nous expliquait-il. D’une tout autre manière, Sarah Moon puise dans l’imagerie développée par ses homologues masculins pour mieux s’y opposer. Aussi érige-t-elle un univers qui lui est propre, dans lequel les femmes s’affranchissent de la narration érotique à laquelle on les réduit alors trop souvent. « Je me suis intéressée à la mode surtout pour la femme qu’elle habille et qui en devenait l’héroïne », soulignait-elle. Chez Chiron Duong, les fragments du passé se retrouvent dans les tenues traditionnelles revêtues par ses modèles. Un folklore magnifié et réinventé se prolonge ainsi à l’image.
De ces approches jouant de l’héritage résultent des clichés singuliers misant sur le flou et les pauses longues, qui vont à rebours des tendances définies qui se succèdent à un rythme effréné. À cela s’ajoutent des décors épurés, monochromes ou colorés, dénués de repères. « Je suis fasciné par le travail des jeunes en écoles. Leurs créations sont souvent conceptuelles, à la limite du portable. Elles font évoluer notre regard sur le vêtement, la manière de le porter, l’apparence que l’on a dans le monde, appuyait Hugo Mapelli. Cette partie très créative est généralement moins datée que la mode plus commerciale, qui est en accord avec ce que vit la société à un moment précis. C’est l’axe de travail que je privilégie aussi. Dans l’art, on peut faire de très belles choses avec très peu de matériel. » En cela, les pratiques d’Hugo Mapelli, mais également celles de Sarah Moon et de Chiron Duong, s’inscrivent en dehors de toute temporalité. Elles offrent une autre vision de la mode qui va de pair avec les nouvelles logiques de consommation, sollicitées par le public et mises en avant par les marques.
Le témoin de nouvelles logiques de consommation
Si, pendant des années, les mannequins étaient perçues comme le support de narrations qu’elles ne maîtrisaient pas, certains courants de la photographie de mode tendent désormais à mettre en lumière des récits incarnés d’une autre manière. Les images ne cristallisent plus un idéal auquel le public doit aspirer, elles se font à l’inverse la projection d’un monde tangible, articulée autour de l’être humain. Au travers de ses photogrammes, Hugo Mapelli rend compte des contours de la maroquinerie, des bijoux et des souliers qu’il immortalise à taille réelle. Les clichés vaporeux de Sarah Moon et de Chiron Duong matérialisent quant à eux des émotions brutes. En mettant l’accent sur les impressions suscitées, ceux-ci éveillent les imaginaires et donnent forme à des mouvements inconscients qui ont trait à l’universel.
Quoiqu’elle se distingue dans sa démarche, Kamila K Stanley place l’individu au centre de son travail. Pour réaliser Declaring Independence, l’artiste britannique d’origine polonaise a entrepris de visiter chaque pays de l’Union européenne pour y photographier les êtres qu’elle croise. « L’idée est de mettre en valeur des profils diversifiés, souvent sous-représentés dans des médias traditionnels : les personnes queers, racisées, handicapées, âgées… Toutes ces catégories qui ont tendance à être délaissées. Je les shoote ensuite dans leur vie de tous les jours, chez eux, dans la rue… », indiquait-elle. La série, commencée à la suite du Brexit, reprend notamment les codes de l’esthétique documentaire, multipliant les portraits, accolés à des paysages ou des natures mortes évocatrices. Elle fait également la part belle à la créativité au moyen d’une collaboration plurielle, avec les marques et ses modèles. « Travaillant dans la mode, j’ai utilisé mes contacts pour récolter des vêtements que j’emprunte à de jeunes créateurs européens et britanniques », poursuivait-elle.
Malgré les nombreuses contraintes qu’elle tend à imposer, la mode se révèle finalement comme un véritable creuset de créativité. Reflet sinon annonciatrice d’une époque, elle se fait le témoin de nouvelles logiques de consommation et de représentations que les photographes saisissent de manières diverses et variées, selon leur sensibilité.