En double exposition, sous les néons des soirées underground, Rafael Medina développe un corpus d’images grisantes, inspirées par les corps queer, de tout âge et genre, dansant sur la piste.
« Il ne suffit pas d’être gay, lesbienne ou trans pour être queer. Le terme “queer” fait référence à un mode de vie dans lequel vous comprenez que votre identité de genre, votre sexualité ou votre désir défieront, d’une certaine manière, la norme. Et cela n’a rien à voir avec le fait d’être “un·e rebel·le sans cause” ou un·e étrangèr·e juste pour le plaisir. Les personnes queers sont fidèles à elles-mêmes, et elles vont parfois à l’encontre du statu quo, avance Rafael Medina. Je suis un homme cis gay de plus de 40 ans qui continue de danser comme un fou et de ne pas s’excuser de ses désirs ni de son plaisir. Cela peut constituer une approche très queer de la vie », complète le photographe originaire de Rio de Janeiro, au Brésil.
Élevé dans la partie nord de la ville – pauvre sur le plan économique, mais riche culturellement –, l’auteur souligne l’impact d’un lieu de vie et de ses valeurs dans la construction de nos identités. « Enfants, ma sœur et moi partagions la même chambre. J’y jouais librement à la poupée. Nous faisions aussi danser nos He-Man [figurines créées d’après le dessin animé du même nom, ndlr] et nos Barbie dans notre discothèque fictive. Au début des années 1990, alors que j’avais 13 ans, j’ai assisté à la naissance du carioca funk, un genre musical inspiré par la Miami bass et l’électro des années 1980, créé par des Noirs dans les favelas de Rio. Ces sons ont fait danser les adolescent·es que nous étions plusieurs dimanches matin », se souvient l’auteur.
Au rythme de soirées endiablées
La musique et la danse ne cessent d’accompagner l’artiste. La découverte du médium photographique est d’ailleurs associée à ses sorties nocturnes. À 20 ans, alors qu’il commence à fréquenter les clubs, il achète un boîtier numérique afin de « capturer un nouveau monde fascinant ». C’est également au début des années 2000 qu’il effectue son coming out. « C’est plus tard que j’ai connecté ces différents éléments, quand j’ai eu le courage de reconnaître que j’avais besoin de devenir une personne pouvant témoigner de mon environnement grâce à l’image », précise Rafael Medina. Qu’est-ce qu’être queer ? Comment représenter les corps ? Voici des questions qui l’imprègnent et l’inspirent au quotidien. Car le photographe aujourd’hui installé à Berlin ne peut dissocier sa vie personnelle de ses explorations artistiques. Dans l’ensemble de son œuvre, il partage ses observations et réflexions au rythme de ses rencontres et sorties endiablées.
Après avoir documenté les soirées underground queers brésiliennes durant plusieurs années, le photographe s’invite sur la scène berlinoise. « Ici, les clubs ont une politique très stricte : pas de photo sur la piste de danse. Il m’a fallu deux ans pour établir un lien de confiance avec le public et les organisateurs », explique-t-il. Si la communauté LGBTQ+ s’organise différemment entre Rio de Janeiro et Berlin, les clubs participent à la création de nouveaux liens émotionnels. « Ce n’est pas seulement un espace où les gens vont danser, se droguer ou baiser. C’est aussi un lieu où il est possible d’inventer de nouvelles façons d’être et d’interagir avec l’autre, en toute liberté. Le club est notre église, c’est pourquoi nous y sommes tous les dimanches », confie Rafael Medina. Avec ses doubles expositions, l’auteur nous emporte dans l’ivresse de la nuit. Un clin d’œil assumé aux lendemains des soirées arrosées où tout est mouvant et flou. Ici, les souvenirs et les corps se mélangent sans jamais être réduits au sexe. « Il ne s’agit pas non plus de nier le désir. Je défends une vision du corps qui va au-delà d’un regard coupable, qui est libre de désirer, de s’exprimer. J’ai autrefois été une personne obsédée par le contrôle et la perfection, puis j’ai pu observer la puissance d’une image non planifiée. »
Revue en ligne dédiée au body et sex positivism (FLSH Mag, 2015), projet photo personnel sur la transition (Transbrasil, 2021)… Rafael Medina s’intéresse aussi au vieillissement des corps dans Skin Deep (2017). Il y dresse le portrait d’un groupe d’homosexuels berlinois de plus de 60 ans. N’ayant que peu d’exemples d’hommes cis gay âgés dans sa communauté d’origine – car sévèrement touchés par le sida –, il s’interroge : dans quelle mesure les relations émotionnelles et intimes participent-elles au vieillissement ? Qu’en est-il de la sexualité quand on a plus de 60 ans ? Quel rapport entretient la communauté avec ces corps vieillissants ? Comment se positionner, dans un contexte sexuel, face à des hommes plus âgés ? Actuellement, il suit des travailleurs du sexe gays latinos installés à Berlin, et prépare un livre sur la communauté LGBTQ+ brésilienne. Plus qu’un hommage, le travail de Rafael Medina s’inscrit dans la (re)construction de l’histoire queer. Et tant qu’il aura besoin de comprendre, il fabriquera des images enivrantes.