Pour cette édition 2025 des Rencontres photographiques du 10e, qui défie une nouvelle fois les attentes, les photographes mis·es en avant interrogent nos manières d’habiter le monde face aux bouleversements climatiques, la mémoire du déchirement et les identités malmenées. Les expositions sont à découvrir jusqu’au 16 novembre.
Depuis 2005, les Rencontres du 10e – portées par le collectif Fetart, déjà à l’origine du festival Circulation(s) – transforment l’arrondissement en célébration du 8e art, en investissant galeries, bibliothèques, jardins et lieux de vie, avec le hall de la mairie comme épicentre. Le pont Saint-Ange propose un panorama de la scène brésilienne contemporaine avec, entre autres, Ian Cheibub et José Diniz, tandis que le Point Éphémère met à l’honneur les lauréats du prix photo CCFD-Terre Solidaire. La Fisheye Gallery accueille quant à elle le travail de Flore Prébay, un portrait bouleversant de sa mère, marqué par une lente disparition liée à la maladie. Ses images traduisent la perte progressive de la mémoire, de la voix et de l’identité, ainsi que le profond vertige causé par ce deuil.
Pour cette nouvelle édition, huit lauréat·es exposent leurs travaux dans le hall de la mairie. On circule avec fluidité entre les espaces aménagés dans la salle où se confrontent des thématiques brûlantes d’actualité. En filigrane, leurs œuvres, du Zimbabwe à Taïwan en passant par les États-Unis, rappellent que l’expérience intime – perte, migration ou territoire abîmé – reflète toujours une réalité collective.
Paysage et hyperinflation
Dans une démarche expérimentale et colorée, Elsa Leydier questionne les biais coloniaux de la photographie. Après plusieurs années passées au Brésil, elle s’interroge : peut-on produire une image juste d’un territoire lorsque celui-ci est déjà marqué par un rapport historique et sociologique de domination ? La question de la mémoire postcoloniale traverse également les visions très personnelles de Nathyfa Michel, qui convoque corps, végétaux et paysages pour dessiner un « chez soi » possible, au-delà de l’illusion d’un retour aux origines dans un monde façonné par la colonisation et ses conséquences.
D’autres se situent davantage sur le terrain de l’économie. Avec One Hundred Trillion Dollars, Chloé Nicosia revient sur son voyage au Zimbabwe. Elle explore la mémoire de l’hyperinflation qui a frappé le pays au début des années 2000, un moment où les billets de banque atteignaient la somme vertigineuse de cent mille milliards de dollars. En comparant ses propres clichés argentiques de paysages à ceux représentés sur la monnaie – cascades, palmeraies… –, elle met en évidence l’absurdité du système bancaire et les traces persistantes laissées par la crise dans l’espace public, comme ces panneaux publicitaires vides au bord des routes.
Façons d’habiter le monde
Mahka Eslami documente celles et ceux qui tiennent une grande partie des bodegas new-yorkaises – ces supérettes de quartier essentielles à la vie locale. Originaires du Yémen, ces commerçant·es s’étaient illustrés, en 2017, en protestant contre le « Muslim Ban » de Donald Trump, en fermant simultanément plus d’un millier de magasins. Ses images mettent en lumière une communauté à la fois discrète et centrale dans l’économie américaine. Mais la thématique de la restauration n’inspire pas que la photographe iranienne : Guillaume Blot raconte les restaurants routiers, avec une approche pleine d’humour et de tendresse. Ses images au flash, hautes en couleur, côtoient des notes de voyage, anecdotes et citations recueillies au fil de ses rencontres avec chauffeurs, touristes et serveurs. Pour lui, ces restaurants sont l’un des derniers repaires d’une culture populaire vivante et pleine de poésie.
Émeline Sauser, qui se laisse elle aussi porter par les chemins, parcourt souvent les villes, se fait prendre en stop et multiplie les rencontres. Parfois, certains récits de vie émergent ; ce sont des histoires de cheminement à travers la violence et la douleur, à la recherche d’un refuge fait de lumière, d’amour et d’apaisement. Capturés ici ou là dans l’hexagone, ses portraits sensibles les racontent, non avec héroïsme, mais avec humilité et tendresse.
Toujours au plus près des réalités contemporaines, Maxime Riché, dont nous avons beaucoup parlé dans Fisheye, poursuit son « documentaire spéculatif » en suivant les survivant·es d’incendies en Californie qui tentent de se reconstruire dans des lieux devenus invivables. Cette fois, les notes qui accompagnent les images ne décrivent pas le présent vécu, mais traduisent le rêve et l’espérance au-delà des limites. Les photographies, aux couleurs vives, utilisent la lumière infrarouge pour intensifier cette dimension poétique. Enfin, Chia Huang propose une réflexion sur la relation des Taïwanais·es à l’eau – spirituelle, géopolitique, et de plus en plus marquée par les enjeux climatiques. Chaotique et surprenant, son projet mêle les collages, les cartes et le 8e art pour refléter la quête identitaire qui se dessine dans ce lien.