La Résidence 1+2 dévoile son coffret 2024, Fabulae, composé de trois livres photographiques présentant les séries de Céline Clanet, Gaëlle Delort et Alžběta Wolfová. Les artistes, d’horizons et de générations différentes, se sont emparées des sujets à la croisée du vivant et des croyances pour insuffler un air nouveau sur nos façons de concevoir la science et l’image.
La photographie et la science évoluent main dans la main depuis près de deux siècles et explorent diverses méthodes afin de figer la réalité et rendre visible l’invisible. La Résidence 1+2, soutenue par des collectivités territoriales et des institutions universitaires toulousaines, accompagne en partie un trio d’artistes dans la création de dialogues et nouveaux récits entre toutes les sciences et le médium. En 2024, ce trio était composé de Céline Clanet, Gaëlle Delort et Alžběta Wolfová. Chacune a exploré les thématiques du vivant et des croyances, « régénérant nos imaginaires entre art et science », suggère Michel Poivert, historien de la photographie et parrain d’honneur de la Résidence 1+2. Leurs travaux traitent les liens entre humain·es et animaux, des grottes, des insectes, avec des poésies visuelles variées et affirmées, et s’épanouissent à travers les pages de trois livres édités par Filigranes au sein de la collection Toulouse. L’ensemble est réuni dans le coffret 2024 intitulé Fabulae.
Céline Clanet – Seconde Peau
« Une communauté fantôme ancestrale, des hommes sauvages ursidés, une ourse ressuscitée », lit-on sur la première page du livre Seconde Peau de la photographe française Céline Clanet. Lors de sa résidence, elle redonne vie à une ourse. Sa recherche s’inspire de la tradition des Fêtes de l’Ours du Haut-Vallespir – inscrites au patrimoine mondial de l’UNESCO – qui consistent en un rituel étonnant : « Les candidat·es retenu·es pour “faire l’ours” s’affublent de peaux d’animal et bousculent villageois·es pour les mâchurer (les enduire de suie) », détaille Michel Poivert. S’associant avec les préhistorien·nes du laboratoire TRACES (Travaux et Recherches Archéologiques sur les Cultures, les Espaces et les Sociétés) et le musée d’Histoire naturelle de Toulouse, elle construit le récit d’un lien entre les humain·es et les ours·es, qui ont disparu de la région, et réactive l’animalité qui somnole dans les cœurs des êtres. Pour ce faire, elle investit les grottes, capture les traces de griffes sur la roche reproduites par l’Homo sapiens, modèle la chair d’un·e ours·e, et confectionne des pelages. Puis dans un cérémonial, les corps endossent la peau de l’animal. Ainsi Céline Clanet pose un nouveau regard sur la bête et réenchante sa relation fantôme avec les individus qui ne perdurent que par des messes folkloriques.
Gaëlle Delort – Développements
Des grottes terreuses enfouies dans la pénombre. Des images monochromes alternées de rouges, de bruns et de poussière. Pour Développements, Gaëlle Delort s’est métamorphosée en photographe-spéléologue en quête des environnements souterrains. En collaboration avec les scientifiques des laboratoires GET (Géosciences Environnement Toulouse), elle expose l’entremêlement de la photographie et de la spéléologie, nées toutes les deux au 19ᵉ siècle. Les deux disciplines partagent obscurité, vocabulaire et sens d’exploration. En partant du mot « développement » qui, en photographie, signifie révéler une image et, en spéléologie, désigne « la longueur connue et topographiée d’une cavité », comme le rappelle Michel Poivert, elle inspecte des caves à l’aide d’un flash et dévoile les danses rocailleuses, les textures sableuses des sous-sols de calcaires. Que racontent-ils de notre planète ? Gaëlle Delort cartographie ainsi l’inconnu, l’invisible, le centre d’archives de la Terre.
Alžběta Wolfová – Insect Gaze
L’insecte est souvent méprisé, sujet de phobies, fui. Mais il est aussi le thème de recherche photographique d’Alžběta Wolfová. L’artiste tchèque a développé, avec les chercheurs Renaud Bastien, Raphaël Jeanson, Hervé Bruste, l’équipe Muséum de Toulouse et le muséum d’Histoire naturelle Victor Brun à Montauban, un projet minutieux qui rend visible la vision des insectes à leur échelle, Insect Gaze. Les bêtes, dénuées de vie et reléguées au statut d’objet d’observation, exhibent leurs morphologies et leurs squelettes sur les images colorées de l’autrice. Ces dernières, fruits de manipulations, de transformations dans un laboratoire argentique, de jeux de filtres à la prise de vue ou de modélisation 3D, semblent tout droit sorties d’un recueil de poèmes visuels et scientifiques. Alžběta Wolfová et les chercheurs s’engagent de cette façon dans un dialogue déconstruit de nos peurs irrationnelles avec des papillons, des arachnides ou des mouches. Michel Poivert s’interroge : « Peut-on non seulement comprendre comment ces entités voient (avec leurs drôles d’yeux) mais surtout ce qu’elles font des “images” qu’elles perçoivent ? »
Texte de Michel Poivert
Éditions Filigranes
25 €