Entre satire esthétique et image de mode, l’artiste britannique Steph Wilson compose sa série d’autoportraits Self (WIP), un work in progress qui lui permet de questionner son rapport au médium photographique, mais aussi d’appréhender différemment sa pratique commande.
« Je ne voulais pas faire une autre série d’autoportraits qui deviendrait une métaphore de l’emprisonnement ou de l’isolement – encore moins en étant enfermée chez moi… J’ai réalisé que la notion “d’intérieur” pouvait également inclure notre propre psyché. » C’est en plein confinement, tandis que la création artistique semble tourner à vide, que Steph Wilson, photographe installée entre Londres et Paris, conçoit Self (WIP). Un projet né d’un entêtement, celui de ne pas être redondante. L’idée germe alors : dans l’absurdité d’un monde où le temps s’est arrêté, l’artiste imagine un filtre fantastique pour colorer ses compositions. « Je me sentais comme une enfant durant un été interminable, jouant à des jeux simples avant de me tourner vers d’autres, plus complexes », se souvient-elle. Séquence d’autoportraits perçue comme une collection de « poupées dans une maison » et autant d’allégories permettant d’exprimer ses nuances dans un espace restreint, Self s’installe dans son quotidien. Un work in progress, jusque dans le titre [WIP, ndlr], destiné à rappeler à sa créatrice que « le soi ne cesse d’évoluer ». En mêlant détails humoristiques, éléments surréalistes et clins d’œil à l’art et à la mythologie, de personnage en personnage, Steph Wilson se libère. Dans ses œuvres, une interprétation de la miniature de Jacques Le Moyne intitulée Une jeune fille des Pictes (voir photo ci-contre) croise par exemple l’âme de Boadicée, reine-guerrière celte. Des roleplays fantasques qui lui permettent d’interroger son rapport au médium photographique.
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« Laisser parler mon cœur avant de consulter ma tête »
En prenant son temps, l’autrice britannique révèle le potentiel sur le point d’éclore. « J’ai découvert, en réalisant des projets au long cours, que les images les plus importantes se dévoilent plus tard, lorsqu’on les laisse s’exprimer. Les images qui nous enthousiasment après des semaines, des mois ou des années sont celles qui comptent », affirme-t-elle. Pour l’artiste, la photographie s’apparente aux histoires d’amour : on peut s’abandonner à la passion du moment en faisant taire notre raison, mais les relations qui perdurent, elles, nous marquent par leur qualité. « J’essaie désormais de laisser parler mon cœur avant de consulter ma tête et de les pousser à débattre », s’amuse-t-elle. Une philosophie qu’elle incorpore également dans sa pratique commerciale.
« J’ai appris à compartimenter. Je comprends maintenant que la commande est une manière de créer sainement et d’avoir les moyens de le faire. » Alors, pour faire raisonner les deux pratiques, elle envisage ses différents projets avec une même irrévérence et un même respect pour les « personnes brillantes qui restent toujours intègres ». Un point de départ vers une satire esthétisée mariant la beauté picturale à la dérision. Dans les autoportraits de Self, la dichotomie est évidente. Aux espaces sublimes – le lieu de vie de la photographe abrite une « forêt vierge » de plus de 600 plantes – s’opposent des décors méta, révélant l’envers : le studio et ses fonds blancs. Même les corps se font face dans des mises en scène comiques confrontant notamment un danseur étoile à une galipette triviale.
Cet article est à retrouver dans son intégralité dans Fisheye #70. Rendez-vous par ici pour découvrir plus de sujets de notre dossier spécial mode.