Sony World Photography Awards 2025 : Photographier le déni, documenter les résistances

10 mai 2025   •  
Écrit par Anaïs Viand
Sony World Photography Awards 2025 : Photographier le déni, documenter les résistances
The Journey Home from School © Laura Pannack, United Kingdom, Winner, Professional competition, Perspectives, Sony World Photography Awards 2025.
Une jeune fille faisant une figure de skateboard dans un skatepark
Shred the Patriarchy © Chantal Pinzi, Italy, Winner, Professional competition, Sport, Sony World Photography Awards 2025.

Des corps qui chutent, des trajectoires contrariées, des espaces repris de force… Et si la photographie était un langage de reconquête ? Cette année, les Sony World Photography Awards (SWPA) ont récompensé des images qui racontent autant qu’elles dénoncent.

Aux Sony World Photography Awards 2025, le grand prix a été décerné au Britannique Zed Nelson pour The Anthropocene Illusion, une série saisissante sur notre mise en scène du monde naturel. Dans des zoos, musées ou parcs « naturels », il capte la manière dont l’humanité tente de masquer son impact en recréant des simulacres de nature, soigneusement chorégraphiés. « Nous avons commencé à produire des versions curatées du vivant », explique-t-il. Au-delà de la question environnementale, c’est notre rapport intime – voire anxieux – à la nature que le lauréat interroge, dans un monde où la nostalgie devient élément de consommation. Dans un tout autre registre, le Français Olivier Unia a été sacré Open Photographer of the Year pour Tbourida La Chute, une image picturale d’un cavalier projeté au sol lors d’un spectacle équestre marocain. Tirée d’un projet au long cours sur l’art de la tbourida, la photo impressionne par sa capacité à capter un instant de tension rituelle et symbolique. Et dans les catégories du concours Professional, certaines voix féminines se sont particulièrement distinguées cette année. De l’Inde à l’Afrique du Sud, de la terre aux étoiles, trois photographes posent leur regard sur les lignes de faille contemporaines : Chantal Pinzi, Laura Pannack et Rhiannon Adam. Trois récits d’engagement, de réappropriation et de rupture.

Des jeunes femmes indiennes posent avec leurs skateboards
Shred the Patriarchy © Chantal Pinzi, Italy, Winner, Professional competition, Sport, Sony World Photography Awards 2025.
Des mains couvertes de henné tenant une planche à roulettes
Shred the Patriarchy © Chantal Pinzi, Italy, Winner, Professional competition, Sport, Sony World Photography Awards 2025.

Tour du monde féministe sur roulettes

Dans Shred the Patriarchy, Chantal Pinzi raconte comment certaines femmes se rebellent contre le patriarcat… en montant sur une planche de skate. « Le skateboard est devenu une forme de résistance », explique la photographe italienne qui a parcouru le monde et ses skateparks, du Maroc à l’Éthiopie. C’est le chapitre réalisé en Inde qui a retenu l’attention du jury des SWPA 2025, dans la catégorie Sport. « 5 300 km au cours desquels j’ai pu rencontrer des femmes qui ont choisi de briser les normes sociétales et les stéréotypes qui les oppriment », relate-t-elle. Une série résolument politique – presque autant que le fait même de pénétrer dans ces lieux souvent réservés aux hommes. « Le sport permet aux femmes de se réapproprier l’espace public, de défier les attentes et de réécrire leur rôle dans une société qui tente de leur dicter ce qu’elles doivent être », ajoute l’autrice. Elle aussi skateuse, Chantal Pinzi documente bien plus qu’un sport : une manière d’exister autrement. En parcourant ses images, on comprend que grimper sur une planche n’a rien d’anodin : c’est apprendre la résilience, la détermination et la liberté. « Le skateboard nous enseigne la vie, soit à tomber et à se relever, toujours continuer. Et surtout, à vivre libre. » En attendant la publication de son livre rassemblant ce tour du monde féministe sur roulettes, la photographe salue l’espace de dialogue qu’offrent les Sony Awards : « En tant que photographes, nous avons besoin de sentir que nous faisons partie d’une communauté où il est possible d’évoluer, d’explorer et d’échanger. Pouvoir converser avec des géant·e·s du photojournalisme, comme Susan Meiselas, qui m’a poussée à prendre cette voie, c’est à la fois fantastique et significatif. »

Un jeune garçon grimpant sur un abribus en Afrique du Sud
The Journey Home from School © Laura Pannack, United Kingdom, Winner, Professional competition, Perspectives, Sony World Photography Awards.
Deux enfants dans la rue dans un township au Cap
The Journey Home from School © Laura Pannack, United Kingdom, Winner, Professional competition, Perspectives, Sony World Photography Awards.

Grandir dans un climat de violence quotidienne

Coup de projecteur sur un autre travail engagé, The Journey Home from School, signé par Laura Pannack, une photographe britannique connue pour ses portraits sociaux. C’est en Afrique du Sud, et notamment au Cap et dans le quartier des Cape Flats qu’elle a réalisé les images remarquées par le jury de la catégorie Perspectives. Là-bas, le trajet maison-école peut être synonyme de danger de mort pour de nombreux·ses enfants. Comment grandir et étudier « normalement » au sein d’une communauté divisée et des tirs croisés qui rythment la vie de tous les jours ? « Ce projet n’est qu’un début. J’espère que mes images susciteront un sentiment de nostalgie et qu’elles seront visibles dans d’autres parties du globe pour témoigner de la façon dont les enfants grandissent dans un climat de violence quotidienne. J’aimerais qu’elles fassent réfléchir », détaille l’artiste. Ce prix, au-delà d’un encouragement symbolique, valide par ailleurs un travail autofinancé à long terme : « À certains moments, lorsque l’espoir ou la patience s’amenuisent, une reconnaissance comme celle-ci est un rappel puissant : ce travail a une résonance. Je suis également très honorée d’être distinguée aux côtés d’artistes aussi incroyables. » Parmi elles·eux, elle mentionne Rhiannon Adam et son dévouement inébranlable ainsi que son souci du détail.

Diptyque de portraits à la façon des astronautes
Rhi-Entry © Rhiannon Adam, United Kingdom, Winner, Professional competition, Creative, Sony World Photography Awards 2025.
Dans la nuit, une tour qui ressemble à une tour de lancement. En premier plan des rails.
Rhi-Entry © Rhiannon Adam, United Kingdom, Winner, Professional competition, Creative, Sony World Photography Awards 2025.

Tourisme spatial

Et c’est entre autres pour ces raisons que le projet Rhi-Entry de Rhiannon Adam a retenu l’attention du jury Créativité. La photographe irlandaise explore… « l’après ». Après quoi ? Trois années de préparation pour un vol spatial historique – annulé. Seule femme choisie parmi un million de candidat·e·s pour la mission dearMoon du milliardaire japonais Yūsaku Maezawa, elle devait embarquer pour un voyage touristique dans l’espace d’envergure mémorable. L’histoire a avorté, mais pas son besoin de raconter : « La série parle de mon retour dans ma vie normale, après avoir vécu cette préparation comme si elle était réelle. J’ai du mal à regarder le ciel, maintenant, et je redoute presque l’arrivée de la nuit. C’est comme si j’avais vécu une rupture terrible. » Comment se prépare-t-on psychologiquement à ce dont on rêve depuis des millénaires ? « La pression que nous nous sommes imposée était immense… Et pour moi, en tant que personne homosexuelle, c’était particulièrement symbolique. L’espace a toujours représenté la liberté ultime – un endroit où l’on n’est soumis à aucune loi. Ma sélection dans ce programme a constitué une forme d’héroïsme », confie-t-elle. Mais au rêve succède la dette laissée : la faillite du projet oblige aujourd’hui Rhiannon Adam à repenser sa carrière. Un comble quand on décrit Yusaku Maezawa comme un philanthrope et un collectionneur d’art bienveillant. Grâce aux SWPA, la photographe a pu livrer sa version, et au passage glisser une mise en garde : « Parfois, quand quelque chose semble trop beau pour être vrai, ce n’est probablement pas le cas… »

Une mosaïque de lettres
Rhi-Entry © Rhiannon Adam, United Kingdom, Winner, Professional competition, Creative, Sony World Photography Awards 2025.
À lire aussi
Focus #28 : Rhiannon Adam et la folie de l’insularité
Focus #28 : Rhiannon Adam et la folie de l’insularité
C’est l’heure du rendez-vous Focus de la semaine ! Aujourd’hui, lumière sur Rhiannon Adam qui part, dans Big Fence, à l’exploration de…
30 novembre 2022   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Sony World Photography Awards : la photographie à la fleur de l'âge
© Thapelo Mahlangu, South Africa, Shortlist, Student Competition, Sony World Photography Awards 2025
Sony World Photography Awards : la photographie à la fleur de l’âge
Les Sony World Photography Awards annoncent les finalistes de ses deux compétitions célébrant les jeunes photographes à travers le monde…
21 janvier 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Prix Camera Clara : la Roumanie existentielle de Laura Pannack, lauréate 2023
© Laura Pannack
Prix Camera Clara : la Roumanie existentielle de Laura Pannack, lauréate 2023
Le 25 octobre, le Prix Camera Clara a dévoilé le nom de sa lauréate 2023 : Laura Pannack. À la chambre photographique, cette…
30 octobre 2023   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Explorez
Nicole Tung, ultime lauréate du Prix Carmignac !
Diverses espèces de requins, dont certaines sont menacées d'extinction, tandis que d'autres sont classées comme vulnérables, ont été ramenées à terre à l'aube par des pêcheurs commerciaux au port de Tanjung Luar, le lundi 9 juin 2025, à Lombok Est, en Indonésie. Tanjung Luar est l'un des plus grands marchés de requins en Indonésie et en Asie du Sud-Est, d'où les ailerons de requins sont exportés vers d'autres marchés asiatiques, principalement Hong Kong et la Chine, où les os sont utilisés dans des produits cosmétiques également vendus en Chine. La viande et la peau de requin sont consommées localement comme une importante source de protéines. Ces dernières années, face aux vives critiques suscitées par l'industrie non réglementée de la pêche au requin, le gouvernement indonésien a cherché à mettre en place des contrôles plus stricts sur la chasse commerciale des requins afin de trouver un équilibre entre les besoins des pêcheurs et la nécessité de protéger les populations de requins en déclin © Nicole Tung pour la Fondation Carmignac.
Nicole Tung, ultime lauréate du Prix Carmignac !
La lauréate de la 15e édition du Prix Carmignac vient d’être révélée : il s’agit de la photojournaliste Nicole Tung. Pendant neuf mois...
Il y a 9 heures   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Les expositions photo à ne pas manquer en 2025
Sein und werden Être et devenir. FREELENS HAMBURG PORTFOLIO REVIEWS © Simon Gerliner
Les expositions photo à ne pas manquer en 2025
Les expositions photographiques se comptent par dizaines, en France comme à l’étranger. Les artistes présentent autant d’écritures que de...
03 septembre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Les Femmes et la mer : mondes liquides
© Louise A. Depaume, Trouble / courtesy of the artist and festival Les Femmes et la mer
Les Femmes et la mer : mondes liquides
Cette année, le festival photographique du Guilvinec, dans le Finistère, prend un nouveau nom le temps de l'été : Les femmes et la mer....
03 septembre 2025   •  
Écrit par Milena III
La sélection Instagram #522 : la rentrée est de sortie
© Nicholas Ip / Instagram
La sélection Instagram #522 : la rentrée est de sortie
Annonçant la fin de l’été, le mois de septembre est pour beaucoup synonyme de rentrée. Source d’enthousiasme pour certain·es...
02 septembre 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Nicole Tung, ultime lauréate du Prix Carmignac !
Diverses espèces de requins, dont certaines sont menacées d'extinction, tandis que d'autres sont classées comme vulnérables, ont été ramenées à terre à l'aube par des pêcheurs commerciaux au port de Tanjung Luar, le lundi 9 juin 2025, à Lombok Est, en Indonésie. Tanjung Luar est l'un des plus grands marchés de requins en Indonésie et en Asie du Sud-Est, d'où les ailerons de requins sont exportés vers d'autres marchés asiatiques, principalement Hong Kong et la Chine, où les os sont utilisés dans des produits cosmétiques également vendus en Chine. La viande et la peau de requin sont consommées localement comme une importante source de protéines. Ces dernières années, face aux vives critiques suscitées par l'industrie non réglementée de la pêche au requin, le gouvernement indonésien a cherché à mettre en place des contrôles plus stricts sur la chasse commerciale des requins afin de trouver un équilibre entre les besoins des pêcheurs et la nécessité de protéger les populations de requins en déclin © Nicole Tung pour la Fondation Carmignac.
Nicole Tung, ultime lauréate du Prix Carmignac !
La lauréate de la 15e édition du Prix Carmignac vient d’être révélée : il s’agit de la photojournaliste Nicole Tung. Pendant neuf mois...
Il y a 9 heures   •  
Écrit par Lucie Donzelot
RongRong & inri : « L'appareil photo offre un regard objectif sur le sentiment amoureux »
Personal Letters, Beijing 2000 No.1 © RongRong & inri
RongRong & inri : « L’appareil photo offre un regard objectif sur le sentiment amoureux »
Le couple d’artiste sino‑japonais RongRong & inri, fondateur du centre d’art photographique Three Shadows, ouvert en 2007 à Beijing...
04 septembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Les expositions photo à ne pas manquer en 2025
Sein und werden Être et devenir. FREELENS HAMBURG PORTFOLIO REVIEWS © Simon Gerliner
Les expositions photo à ne pas manquer en 2025
Les expositions photographiques se comptent par dizaines, en France comme à l’étranger. Les artistes présentent autant d’écritures que de...
03 septembre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Les Femmes et la mer : mondes liquides
© Louise A. Depaume, Trouble / courtesy of the artist and festival Les Femmes et la mer
Les Femmes et la mer : mondes liquides
Cette année, le festival photographique du Guilvinec, dans le Finistère, prend un nouveau nom le temps de l'été : Les femmes et la mer....
03 septembre 2025   •  
Écrit par Milena III