
Par le dessin et le collage, l’artiste sud-africain Vuyo Mabheka compose sa propre archive familiale qui transcrit une enfance solitaire dans les townships, l’absence du père et ses rêves. Cet article est signé Carole Coen.
En langue xhosa d’Afrique du Sud, « popihuis » désigne un jeu de maison de poupées – une transposition d’une réalité fantasmée, une idéalisation du foyer, un bonheur formaté. Dans les images qui composent Popihuise, de Vuyo Mabheka, et qui mêle dessins au pastel, collages et photographies, le ciel est presque toujours bleu. Il est ponctué de nuages cotonneux ou d’étoiles dorées, parfois traversé par un cerf-volant ou un oiseau. Dessous se déroulent des scènes du quotidien : une femme chemine, son bébé en écharpe ; un homme pousse une poubelle ; des jeunes discutent, assis. Mais dans ces tableaux bariolés, un élément détonne : ce petit garçon, au milieu, auquel personne ne fait attention, les personnages qui l’entourent sont quasiment tous de dos et paraissent s’en éloigner. Lui, en revanche, nous regarde, la posture un peu gauche, l’air grave. « J’existe ! », semble-t-il nous dire.

56 pages, 40 €
Réinterpréter son enfance
C’est pour exister, ou en tout cas avancer que Vuyo Mabheka, né en Afrique du Sud en 1999, a réalisé ce travail où il conjugue l’imaginaire et la réalité de son enfance. Balloté de township en township, chargé des tâches domestiques et de sa petite sœur, Vuyo Mabheka a grandi dans la solitude et l’isolement. À partir des rares clichés de lui enfant qu’il possède, d’images découpées dans des magazines que rapportait sa mère des maisons des Blancs où elle travaillait et de photographies de sa communauté, Popihuise raconte l’enfance sans père, la pauvreté, le difficile rapport aux autres et, en écho, la débrouille et les rêves. L’auteur met en scène l’image de lui petit, grossièrement détourée dans des intérieurs certes colorés, mais où la violence – sociale, raciale — et le manque d’amour affleurent. Il coiffe de chapeaux « de grand », Panama ou Stetson, celui qui assumait des responsabilités qui n’étaient pas de son âge. Les rares 113 femmes présentes — sa mère, une tante, une inconnue ? — s’élancent ou vaquent à leurs occupations sans le voir.
La récurrence de la petite silhouette vêtue d’un jeans trop grand est comme la poupée que l’on déplace dans les pièces de sa maison. Chaque image fourmille de détails révélant à la fois un état intérieur, avec ses détresses et ses projections, et une réalité vécue.
Exposé à Paris Photo 2024, lauréat du Grand prix Images Vevey 2023-2024, Vuyo Mabheka a reçu le prix du livre dans la catégorie Auteurs aux Rencontres d’Arles 2025 pour Popihuise.
L’article est à retrouver dans son intégralité dans Fisheye #74.


7,50 €