En accès libre et gratuit, le festival 100% L’EXPO revient pour une 6e édition au sein de la Grande Halle ainsi qu’en plein air dans le parc de la Villette, et qui se tient jusqu’au 28 avril. Les photographes Zoé Chauvet et Daria Svertilova se font l’écho, à la fois réaliste et chimérique, d’une jeune génération affranchie.
Rendez-vous immanquable des arts visuels et plastiques, 100% L’EXPO est avant toute chose un tremplin pour la jeune création – pour les artistes qui sont soit encore en école, soit dans les années qui suivent l’obtention de leur diplôme. Particulièrement exposée aux pressions liées aux conditions du milieu de l’art, celle-ci mérite pourtant elle aussi une place de choix. Une cinquantaine de personnes présentent leurs œuvres – photo, vidéo, installation, design, peinture, performance… – sur un large périmètre dédié, au cœur de la Villette. Pour cette 6e édition, le festival renouvelle son interrogation quant à la manière qu’ont les créateurices du troisième millénaire d’envisager leur rôle dans la société, et laisse la jeunesse exprimer ce qui l’anime. En ce sens, 100% L’EXPO offre un espace rare et précieux, où peuvent se rencontrer, sans aucune censure, désir et réalité, peur et rêve.
Si toutes les formes possibles et imaginables se retrouvent condensées dans ce lieu, certaines thématiques chères aux nouvelles générations reviennent au fil de l’exposition, telles que la réinvention de notre rapport au travail, mais aussi à notre propre corps et à notre sexualité. Côté photographie, les œuvres de Zoé Chauvet et de Daria Svertilova, venues toutes deux de l’École Nationale des Art Décoratifs (ENSAD), ouvrent en trombe l’exposition. La première explore le soi et tente de sortir d’un rapport figé à la photographie et à l’accrochage, tandis que la seconde tire le portrait en clair-obscur d’une génération obstinée, audacieuse et sensible à l’autre, dans un contexte actuel mortifère. Si leurs travaux respectifs prennent des directions éloignées en apparence, l’une comme l’autre ont en commun de se projeter dans une jeunesse qui leur ressemble.
Portraits (dés)enchantés
L’artiste ukrainienne Daria Svertilova s’est intéressée aux résidences étudiantes du pays dont elle est originaire, un projet qu’elle poursuit depuis cinq ans. Ces seuls types de logements sociaux existants en Ukraine « constituent un lieu de transition de l’adolescence vers la vie d’adulte », peut-on lire dans le cartel de présentation de Maisons éphémères. Arrivée en France en 2019 pour poursuivre ses études, confrontée à la vie d’adulte loin de sa famille, elle retourne régulièrement sur le territoire, cherchant à documenter ce passage si étrangement singulier. Puisqu’ils réunissent pêle-mêle des étudiant·es d’universités et de villes issu·es de tout le pays, ces lieux sont particulièrement représentatifs de qui sont les jeunes ukrainien·nes.
L’artiste raconte avoir été très influencée par la révolution de Maïdan – en février 2014, des affrontements éclatent à Kyiv et aboutissent à la destitution du président, puis au déclenchement de la guerre entre la Russie et l’Ukraine. « Tout avait commencé par une manifestation étudiante, en réaction à une loi acceptée par le gouvernement de l’époque. Pour moi, les étudiant·es partagent cet esprit contestataire », explique-t-elle. Construits pendant l’époque soviétique, ces espaces n’ont pas beaucoup changé, une réalité créatrice de contrastes fascinants à l’ère contemporaine, dont Daria Svertilova s’attache à rendre compte. « Je trouvais pertinent de montrer la coexistence de ces bâtiments brutalistes du système communiste, avec les jeunes de notre époque, majoritairement proeuropéen·nes », poursuit-elle. Des étudiant·es que l’on retrouve dans leur cocon, chorégraphiant les gestes de leur quotidien avec une spontanéité née du lien de confiance établi avec la photographe.
Le soi au fil de l’eau
Zoé Chauvet présente quant à elle son projet Altær, une série entamée en 2021 et alimentée en continu depuis. « C’est ce mélange entre l’alter, donc l’autre, et l’altar (l’autel en espagnol, ndlr), qui est une forme mystique », annonce-t-elle. Le paysage qu’elle compose pour l’exposition entremêle les portraits posés de ses ami·es avec des images de lieux naturels étranges. « Avant, j’avais un rapport documentaire à la photographie, raconte-t-elle. Là, j’ai voulu m’éloigner d’un regard froid et naturaliste en partant en milieux géologiques, en mutation – comme des anciennes grottes ou des carrières. » En quête d’une forme de réalisme magique, Zoé Chauvet puise dans une dimension fictionnelle, afin de magnifier les questionnements liés au genre et de dessiner un rapport fluide, « liquide », à l’identité. « Le médium photographique est un sujet en soi, puisqu’il est capable de se modeler et de se remodeler en permanence », déclare l’artiste, qui travaille à des installations modulables, à la manière d’architectures permettant de soutenir les images. Grande particularité de certaines de ses œuvres : Zoé Chauvet travaille parfois avec des procédés argentiques sans caméra, comme l’insolation – une pratique de contact de lumière directe sur un support photosensible. En résultent des luminogrammes colorés, représentant des fragments d’espaces sur du verre dont l’apparence change selon l’éclairage et la position. Dans cette même logique d’animer son travail afin qu’il demeure vivant – et donc urgent – , l’artiste a notamment fait appel à Talita Otović pour composer la bande-son de sa série, qui entre en correspondance avec l’œuvre et transporte le public dans une ambiance hallucinée. Pour construire de nouveaux récits, allant bien au-delà de la photographie.