De retour en Nouvelle-Zélande, sa terre d’origine, la photographe Stephanie O’Connor se trouve submergée par un flot d’émotions. Une sensation nouvelle, étrange, qu’elle exorcise en tournant son objectif vers les paysages qui l’entourent. En résulte un ouvrage à l’aura hallucinatoire peignant le monde de teintes oniriques.
« L’artiste canadienne Moyra Davey parle d’un type de photographie qui ressemble à l’action de lire : toutes deux requièrent “une dérive et un but”, devenant “une entreprise d’absorption et de collection”. J’aime l’idée d’embarquer dans une aventure imprévue, guidée par une seule intention, ou un ressenti », confie Stephanie O’Connor. Une errance intuitive qu’elle entreprend elle aussi, s’imprégnant de son environnement pour construire des récits délicats aux couleurs soutenues. Des teintes évoquant une réalité alternative, qui aurait été esquissée par des peintres aux folles visions. C’est d’ailleurs en cours d’arts plastiques que l’autrice commence à s’intéresser au 8e art. « Je crois que je consternais mon professeur parce que j’étais extrêmement lente, et que ses remarques négatives m’ont poussé à chercher ailleurs », confie-t-elle. Au lycée, elle découvre l’argentique et le photogramme, et tombe sous le charme de la magie de ces procédés, comme de l’atmosphère singulière qui se dégage de la chambre noire. « Son rouge surnaturel, son agrandisseur et la vague odeur des produits chimiques… », se remémore-t-elle.
Depuis, elle laisse son appétence pour l’onirisme la mener vers de nombreux projets. À Berlin, où elle réside actuellement, elle multiplie les collaborations avec des écrivain·es, poète·sses, musicien·nes et autres artistes et ne cesse d’imaginer de nouvelles manières créatives de donner à voir le monde. Une démarche qui l’accompagne à son retour en Nouvelle-Zélande, d’où elle est originaire. « J’ai été submergée par les dynamiques familiales, la force des souvenirs et cette sensation de nouveauté qui ne m’était pas familière. Je ne m’attendais pas à l’impact de ces émotions », raconte l’artiste. Alors, pour tenter de mettre de l’ordre dans le tumulte de son esprit, elle se lance dans la composition de All Stars Stand Close in Summer Air. Un ouvrage relatant sa redécouverte de la terre qui l’a vue grandir.
Comme une éruption
Des courbes gracieuses d’un nuage rougeoyant aux caresses du soleil sur l’eau calme. Des rides d’un tissu qui se noie à l’éclat d’yeux contemplant l’horizon, Stephanie O’Connor capture l’indicible, la poésie du réel avec une force narrative incontestable. Des cieux aux terres, les couleurs se fondent les unes dans les autres, enveloppent les éléments, tracent des arabesques dans le temps. Une ode à la nature néozélandaise transcendant l’enveloppe du « vrai ». « Je me suis intuitivement tournée vers elle – c’était peut-être une réaction à la stérilité du paysage de Berlin en hiver. En résulte une esthétique hallucinatoire, riche, inspirée par l’intensité de mes ressentis et le vertige que me procurait cet été humide », explique l’autrice. Une conception fiévreuse, où les tonalités se distordent pour refléter l’invisible. Amatrice de la postproduction, Stephanie O’Connor joue avec les paramètres, dérègle le réel pour laisser apparaître des variances qu’on ne peut apercevoir à l’œil nu, s’amuse avec l’identité même des images, « repousse leur limite jusqu’à ce qu’elle soit sur le point de se briser ».
Et de ces écartèlements artistiques émerge un univers à la splendeur irréelle. Comme si la dimension fantastique des photographies permettait à leur conceptrice de s’abandonner à l’expérience de son retour à Aotearoa (terme définissant la Nouvelle-Zélande en langage maori, ndlr). Une manière pour elle de personnaliser – et personnifier – la notion de mémoire venant nourrir ce travail. « Simone Fattal, compagne de la poétesse Etel Adnan et sculptrice a dit : “La mémoire est quelque chose qui vous surprend. Elle est votre identité, elle est vous-même, mais elle ne se manifeste que quelques fois. Et vous ne savez jamais quand. C’est comme une éruption” », ajoute Stephanie O’Connor. Une éruption donnant naissance à de nouveaux territoires, teintés d’une aura surnaturelle, aussi belle que chargée d’histoire. Une éruption dont les cendres incandescentes composent All Stars Stand Close in Summer Air.
76 pages
45€