Antoine Boissonot embarque sur la Loire à bord d’un canoë pour un voyage photographique introspectif. Se laissant porter sur l’eau pendant trente-six jours, le photographe reconnecte avec un environnement familier – celui de l’enfance – et son for intérieur.
« Ici rien ne se précipite. Le courant décide, le ciel commande », écrit Solenne Hernandez. Elle pose des mots justes et empreints de lyrisme sur le travail d’Antoine Boissonot qui, à l’été 2024, a navigué trente-six jours sur la Loire dans un canoë de fortune, appareil photo dans son unique sac hermétique. « J’ai toujours eu la volonté de faire une série photo sur un trajet. De partir d’un point A à un point B », soutient l’artiste, ne cachant pas puiser son inspiration dans le livre Sleeping by the Mississippi d’Alec Soth. Sur ce fleuve qui l’a vu grandir, il reconnecte avec un environnement naturel, voire sauvage, et se déconnecte de la société en ébullition qui ne semble jamais nous accorder de respiration. Depuis son embarcation, le photographe compose, en avouant les difficultés météorologiques et physiques de cette aventure, L’eau du fleuve parle à celui qui écoute, une ode aux interrogations personnelles, à la réalisation d’objectif et au lâcher-prise. Sur l’eau, il s’évade : « Cet élément me permet d’être toujours en mouvement, d’avancer », précise-t-il. Il se laisse porter au gré du courant, subit la pluie, les orages et les faibles températures d’un mois de juin peu clément. « J’avais préparé une feuille de route en amont de mon voyage. Je savais où m’arrêter chaque jour. Mais au fond, je m’attendais à ce qu’elle soit brisée, déconstruite par les aléas du temps. La nature, on ne peut pas la dompter, ce n’est pas un tableau Excel », s’amuse Antoine Boissonot.
Une expédition mouvementée
Sur la Loire, Antoine Boissonot rencontre des chevreuils, des ragondins, des renards, et parfois d’autres navigateur·ices qui tentent de rejoindre l’embouchure de Saint-Nazaire à coups de pagaies. « J’ai fait un très mauvais choix de canoë, il va falloir le dire, avoue le photographe. Il était trop lourd, compliquer à manier. » Sous la pluie, au gré du courant, il tâchait de sortir son appareil photo dès qu’un élément attirait son œil. La manœuvre était complexe : « Ce que je voyais était difficile à retranscrire, car je ne pouvais pas pagayer et prendre l’image en même temps. Or, si je m’arrêtais d’avancer pour saisir un moment, je dérivais très rapidement, je me prenais dans les branchages », confie-t-il. Les averses et les orages consignent souvent son boîtier dans son sac hermétique. Néanmoins, il s’autorise quelques folies. En équilibre sur sa barque, il doit s’emparer de ces trombes d’eau qui s’abattent sur le paysage. Elles font partie du voyage. « Faire de l’image, c’était l’essence même de cette expédition, commente l’artiste. J’ai donc bricolé une protection avec mon imperméable, espérant ne pas trop abîmer mon appareil. » En parallèle des clichés, Antoine Boissonot capture des sons qui l’accompagnent, qui lui font ressentir une ribambelle d’émotions. « C’était beaucoup de joie, mais aussi beaucoup de peurs. Il y a beaucoup de bruits dans la nature. On ne s’en pas vraiment compte, mais on entend tout, surtout la nuit », ajoute-t-il.
Le fleuve de l’introspection
Pourtant, dans cette nature indomptée, pas si éloignée de la civilisation, Antoine Boissonot a su lâcher prise, reconnecter avec son « moi ». Travaillant souvent pour des commandes, le photographe aime maîtriser au millimètre près ce qu’il fait. Or, sur son canoë, il se retrouve face à l’imprévu. « Le temps que je pose la pagaie et que je sorte mon appareil photo, l’élément que je voulais saisir est derrière moi, raconte-t-il. Au début, c’était difficile d’accepter que le moment fût passé. Mais cela m’a appris à laisser les événements venir à moi, comme ils sont. » En se concentrant sur la Loire, il réalise un travail d’introspection sur lui-même et sa pratique photographique. « Aujourd’hui, je suis un peu plus observateur, poursuit-il. J’arrive à être à l’écoute de ce qui m’entoure. Je suis conscient que de belles choses peuvent se présenter à moi sans que je les provoque. » De ce périple de trente-six jours, il compose une série de dix-neuf images qui se focalisent sur l’eau. Reflets scintillants, berges habitées de faune et de flore, ciel colérique, écumes mousseuses. Un bout de canoë, une pagaie rouge-orangé de temps en temps, ou quelques signes de vie humaine apparaissent sur les clichés. Nous embarquant sur son fleuve – celui de ses souvenirs d’enfant, celui qui lui permet une reconnexion intime –, Antoine Boissonot nous révèle les détails qui nous échappent, l’écosystème qui se loge à deux pas de chez nous. « J’ai eu l’impression de former un tout avec la Loire », livre-t-il. Depuis, de retour sur la terre ferme, l’auteur digère les kilomètres parcourus, les émotions ressenties, les leçons apprises. L’eau est devenue son fil rouge, son élément de sérénité. Bientôt, il regagnera la surface, en mer, cette fois-ci, avec des pêcheur·ses, pour un nouveau projet photographique. Peut-être, là, il découvrira sa « mer intérieure » – en écho au dernier livre de Christophe Ono-dit-Biot, Mer intérieure (2025).