Extravagante et haute en couleur, Miami Beach s’impose comme une destination de rêve. Plages de sable fin, boîtes de nuit, strass et paillettes font de cette ville insulaire un lieu de tous les excès où se concentre le tourisme de masse. En 2017, âgé de 17 ans, Antoine Martin s’y envole afin de perfectionner son anglais. « Le séjour était très cadré, mais j’ai pu apercevoir de loin l’envers du décor. Cela m’a intrigué et j’y suis donc retourné une première fois en 2018. Comme je n’avais pas de sous, j’ai pris un logement dans un quartier très populaire et peu développé : Allapattah », se remémore le photographe diplômé de l’école Spéos. C’est dans la ville de Miami, voisine de Miami Beach, que le jeune baroudeur prend ses marques et découvre une tout autre réalité. Il pose son sac à dos dans une sorte d’auberge artistique où l’on paie sa nuit grâce à un système de troc et de services. Le gérant, Fabien, lui ouvre alors les portes d’un Miami brumeux, sans artifice. Au fil des années, après plusieurs allers-retours, Antoine Martin part à la découverte des communautés latinos, caribéennes et afro-américaines qui peuplent les différents quartiers. « J’ai rencontré plein de personnes qui m’ont facilité l’entrée dans ce nouveau monde et m’ont permis de sortir mon appareil photo afin d’explorer les frontières entre réalité et fiction », explique-t-il. Parmi elles, un homme d’une quarantaine d’années sorti de prison. Ancien fixeur pour Vice et National Geographic, qui commandaient des sujets sur fond de trafics de drogues et d’humains, Able guide le photographe dans les endroits les plus critiques de la ville. Dans Miami, not the Beach, les mises en scène sont proscrites et laissent place à la « vraie vie » des habitants qui se révèlent, pour la plupart, curieux face à la présence de l’artiste. « J’imprime des photos dans un carnet, et quand je rencontre des gens dans la rue, je leur montre mes clichés. On échange, on prend le temps. Je ne sors jamais mon gros boîtier, mais un petit, moins impressionnant », précise-t-il.
Une fois la confiance établie, le photographe installe deux flashs portatifs en extérieur, discute avec les protagonistes et déclenche son appareil. Telle une pièce de théâtre en clair-obscur, les clichés révèlent des corps, des visages, des scènes et des actions précises, à un détail près : les personnes photographiées endossent leur propre rôle, ils ne jouent pas. Bien que certains destins donnent des frissons, les images d’Antoine Martin ne font que suggérer la violence qui rythme leur quotidien. « Le rapport au danger et à la mort est très particulier. Ils sont quasiment tous armés, mais refusent que je photographie leurs armes. Je me souviens d’un mec qui avait un pistolet à la ceinture et qui a rigolé en le montrant en me disant : “Tu n’as pas ça en France !” Je me rappelle aussi d’un autre avec qui j’avais sympathisé et que j’ai pris en photo. Le lendemain, j’ai appris sa mort par overdose… », rapporte l’auteur. En travaillant à la tombée de la nuit et en extérieur, Antoine Martin nous donne à voir l’investissement d’un territoire par des communautés. « Chez nous, c’est normal qu’on soit avec nos proches, des gens qui nous ressemblent. Mais à l’extérieur, dans la rue, tout le monde se mélange. Or, Miami est une ville très ségréguée, personne ne se croise, chaque quartier est extrêmement marqué. D’ailleurs, pour protéger leur territoire, ils ont tous deux armes : une arme à feu et un chien, mais pas un petit », ajoute-t-il. D’un orphelinat découvert grâce à un activiste, en passant par Liberty Square, un quartier où un couvre-feu a été instauré pour lutter contre la criminalité, Antoine Martin dresse le portrait d’un Miami absent de notre imaginaire collectif.
Cet article est à retrouver dans le Fisheye #62, disponible ici.