Sur les bords de Loire, dans l’idyllique domaine du château de Chaumont-sur-Loire, se sont installées cinq expositions qui célèbrent la beauté de la nature, tout en révélant subtilement les excès de la présence humaine. Pour cette 7ᵉ édition de Chaumont-Photo-sur-Loire qui se tient jusqu’au 23 février 2025, les photographes aux plastiques variées font converser les arbres luxuriants avec patrimoine.
Le domaine de Chaumont-sur-Loire donne le la : la nature y est en son cœur et est célébrée sous toutes ses formes. Pour Chantal Colleu-Dumond, commissaire des événements artistiques du lieu, Chaumont-Photo-sur-Loire a pour objectif de « regarder autrement la nature à travers l’œil des photographes ». Paysages oniriques et témoignages sur le caractère précieux de notre environnement jalonnent les cimaises du château. Venant de divers horizons – qu’ils soient géographiques ou plastiques – Edward Burtynsky, Laurent Millet, Letizia Le Fur, Nicolas Bruant et Jens Liebchen s’emparent des plantes, des étendues désertiques et des forêts tropicales pour raconter l’histoire de notre monde en quête de paix et de beauté, deux ambitions se trouvant au cœur de cette 7ᵉ édition. Les cinq expositions se dispersent sur le domaine, dans les salles du château, jusque dans la cour de la ferme. Si les arbres lient chaque série photographique, des messages plus ou moins délicats sur les catastrophes écologiques qui sévissent et les horreurs de la colonisation apparaissent dans les recoins de chaque cliché.
L’arbre, le roi des forêts
Une fois le pont-levis traversé, les regards pénètrent dans une salle où les arbres majestueux issus des voyages aux quatre coins de la planète de Nicolas Bruant s’enracinent. Les images datent de quelques trentaines d’années, mais la densité des noirs les rend intemporelles et les préserve de l’anecdote. Pour le photographe français, replonger dans ses archives lui offre une nouvelle vision, un moyen de réexaminer le monde. « J’aurais pu jeter le négatif de l’acacia que j’ai pris en photo en 1976, confie-t-il. Il fallait que ça marine. » L’écorce et les feuillages abondants se dessinent aussi sur les œuvres de Laurent Millet et de Jens Liebchen, dont les travaux, au caractère itératif, dépeignent une recherche de l’esthétisme pour l’un et une poursuite anthropologique pour l’autre. Les clichés des réserves d’Indonésie et les photogrammes de la série Hespérides de Laurent Millet – jardin mythologique, réserver aux dieux – prennent vie dans son laboratoire. « À travers l’or et les teintes de bleu, j’ai tenté de reproduire les papiers dominotés ornementaux européens du 18ᵉ siècle, qu’on trouvait dans les fonds de tiroirs ou sur des paravents, faisant écho aux tissus importés d’Orient », explique l’artiste. Quant à Jens Liebchen, les arbres enneigés de la série System ont en réalité été saisis dans le Kokyo Higashi Gyoen, le parc du Palais impérial de Tokyo, au lendemain du grand tremblement de terre du Tohoku et de la catastrophe nucléaire de Fukushima Daichii en 2011. Un décor urbain, qu’on devine en percevant en arrière-plan une ribambelle de véhicules motorisés. « Si on a l’impression d’être dans un paysage naturel, la forme des végétaux raconte une autre histoire, détaille le photographe allemand, ayant étudié l’anthropologie. Ils sont le fruit de l’intervention des jardinier·ères. En un sens, ils décrivent le fonctionnement de la société japonaise, qui est sculptée de manière homogène. »
Letizia Le Fur : l’impact du geste radical
Quand on pense à Tahiti et ses îles, on imagine les nuances turquoise du lagon, les cocotiers et les fougères verdoyantes, le rouge des hibiscus et les nacres violettes des perles de culture. Toutes ces couleurs semblent converger vers un paradis chatoyant. Pourtant, sur les photographies de Letizia Le Fur, il n’en est rien. Les gris dominent. « J’ai initialement réalisé ce travail en couleur, avoue-t-elle. Alors que je me penchais sur ma série, j’ai senti une dichotomie entre ce que je voyais sur mes images et ce que j’avais ressenti là-bas. Il fallait que j’aie un geste radical. » Ainsi née la série Décolorisation, à une lettre près du mot « décolonisation ». Tout prend sens. Dans ce qui ressemble à un effet de solarisation, la photographe française y perçoit les cendres lointaines des essais nucléaires effectués à Mururoa et à Fangataufa entre 1966 et 1996 par la France. « Ces événements marquent encore les sols et résonnent toujours dans les esprits des Polynésien·nes », révèle-t-elle avant d’ajouter, « cette métaphore chromatique aborde la difficulté de maintenir éveiller les cultures et identités d’un territoire annexé, et exploité. » Au détour d’une vallée, on reconnaît le charme de Tahiti ou de son île sœur, Moorea, que Letizia Le Fur a capturé. Mais dans ce paradis perdu qui a les allures d’un paysage après le passage d’une bombe, l’artiste dévoile son message : « profitez de cette splendeur, mais n’oubliez pas de la préserver. »
Edward Burtynsky : dénoncer l’empreinte humaine
La question écologique est également au centre du travail d’Edward Burtynsky dans sa série African studies (Études Africaines, en français, ndlr). Ayant examiné la mondialisation chinoise durant de nombreuses années, l’artiste canadien se délocalise sur le continent Africain, espace privilégié pour l’implémentation des usines de la Terre du Milieu, mais aussi région stratégique des Nouvelles Routes de la soie initiée par le gouvernement de Xi Jinping en 2013. Embarquant dans un Cessna, il compose, à travers des paysages très picturaux, une dénonciation de l’empreinte humaine. « J’ai exploré l’Afrique pour sa beauté et son industrie qui se développe à grande vitesse, dévoile l’artiste. Mes images hyperréalistes représentent autant des lieux à couper le souffle que les blessures que nous infligeons à la planète. » Dans ces écosystèmes multiples, des lacs aux mines de sel en passant par les déserts, il crée des ponts entre les vivants et leurs environnements, tout en se positionnant en pédagogue : « Grâce à l’art, les êtres humains peuvent être plus conscient·es de l’impact de leurs actions », soutient-il. Les œuvres du photographe conversent avec la Loire par-delà les fenêtres du domaine. Peut-être, une façon de rappeler que peu importe le lieu ou le continent, nous devons protéger notre Terre.