Chaumont-Photo-sur-Loire, une 7ᵉ édition où la poésie tutoie l’engagement écologique

23 novembre 2024   •  
Écrit par Marie Baranger
Chaumont-Photo-sur-Loire, une 7ᵉ édition où la  poésie tutoie l'engagement écologique
Décolorisation, 2024 © Letizia Le Fur, courtesy Galerie Julie Caredda – Paris
System © Jens Liebchen

Sur les bords de Loire, dans l’idyllique domaine du château de Chaumont-sur-Loire, se sont installées cinq expositions qui célèbrent la beauté de la nature, tout en révélant subtilement les excès de la présence humaine. Pour cette 7ᵉ édition de Chaumont-Photo-sur-Loire qui se tient jusqu’au 23 février 2025, les photographes aux plastiques variées font converser les arbres luxuriants avec patrimoine.

Le domaine de Chaumont-sur-Loire donne le la : la nature y est en son cœur et est célébrée sous toutes ses formes. Pour Chantal Colleu-Dumond, commissaire des événements artistiques du lieu, Chaumont-Photo-sur-Loire a pour objectif de « regarder autrement la nature à travers l’œil des photographes ». Paysages oniriques et témoignages sur le caractère précieux de notre environnement jalonnent les cimaises du château. Venant de divers horizons – qu’ils soient géographiques ou plastiques – Edward Burtynsky, Laurent Millet, Letizia Le Fur, Nicolas Bruant et Jens Liebchen s’emparent des plantes, des étendues désertiques et des forêts tropicales pour raconter l’histoire de notre monde en quête de paix et de beauté, deux ambitions se trouvant au cœur de cette 7ᵉ édition. Les cinq expositions se dispersent sur le domaine, dans les salles du château, jusque dans la cour de la ferme. Si les arbres lient chaque série photographique, des messages plus ou moins délicats sur les catastrophes écologiques qui sévissent et les horreurs de la colonisation apparaissent dans les recoins de chaque cliché.

Un acacia en noir et blanc, pris au Kenya.
Kenya Tsavo Est, Acacias, 1976 © Nicolas Bruant
Série Hespérides, 2023 © Laurent Millet, courtesy Galerie Binome, Paris

L’arbre, le roi des forêts

Une fois le pont-levis traversé, les regards pénètrent dans une salle où les arbres majestueux issus des voyages aux quatre coins de la planète de Nicolas Bruant s’enracinent. Les images datent de quelques trentaines d’années, mais la densité des noirs les rend intemporelles et les préserve de l’anecdote. Pour le photographe français, replonger dans ses archives lui offre une nouvelle vision, un moyen de réexaminer le monde. « J’aurais pu jeter le négatif de l’acacia que j’ai pris en photo en 1976, confie-t-il. Il fallait que ça marine. » L’écorce et les feuillages abondants se dessinent aussi sur les œuvres de Laurent Millet et de Jens Liebchen, dont les travaux, au caractère itératif, dépeignent une recherche de l’esthétisme pour l’un et une poursuite anthropologique pour l’autre. Les clichés des réserves d’Indonésie et les photogrammes de la série Hespérides de Laurent Millet – jardin mythologique, réserver aux dieux – prennent vie dans son laboratoire. « À travers l’or et les teintes de bleu, j’ai tenté de reproduire les papiers dominotés ornementaux européens du 18ᵉ siècle, qu’on trouvait dans les fonds de tiroirs ou sur des paravents, faisant écho aux tissus importés d’Orient », explique l’artiste. Quant à Jens Liebchen, les arbres enneigés de la série System ont en réalité été saisis dans le Kokyo Higashi Gyoen, le parc du Palais impérial de Tokyo, au lendemain du grand tremblement de terre du Tohoku et de la catastrophe nucléaire de Fukushima Daichii en 2011. Un décor urbain, qu’on devine en percevant en arrière-plan une ribambelle de véhicules motorisés. « Si on a l’impression d’être dans un paysage naturel, la forme des végétaux raconte une autre histoire, détaille le photographe allemand, ayant étudié l’anthropologie. Ils sont le fruit de l’intervention des jardinier·ères. En un sens, ils décrivent le fonctionnement de la société japonaise, qui est sculptée de manière homogène. »

Décolorisation, 2024 © Letizia Le Fur, courtesy Galerie Julie Caredda – Paris
Décolorisation, 2024 © Letizia Le Fur, courtesy Galerie Julie Caredda – Paris
Sand Dunes #1, Sossusvlei, Namib Desert, Namibia, 2018 © Edward Burtynsky, courtesy Nicholas Metivier Gallery, Toronto
Lake Natron #1, Arusha, Tanzania, 2017 © Edward Burtynsky, courtesy Nicholas Metivier Gallery, Toronto

Letizia Le Fur : l’impact du geste radical

Quand on pense à Tahiti et ses îles, on imagine les nuances turquoise du lagon, les cocotiers et les fougères verdoyantes, le rouge des hibiscus et les nacres violettes des perles de culture. Toutes ces couleurs semblent converger vers un paradis chatoyant. Pourtant, sur les photographies de Letizia Le Fur, il n’en est rien. Les gris dominent. « J’ai initialement réalisé ce travail en couleur, avoue-t-elle. Alors que je me penchais sur ma série, j’ai senti une dichotomie entre ce que je voyais sur mes images et ce que j’avais ressenti là-bas. Il fallait que j’aie un geste radical. » Ainsi née la série Décolorisation, à une lettre près du mot « décolonisation ». Tout prend sens. Dans ce qui ressemble à un effet de solarisation, la photographe française y perçoit les cendres lointaines des essais nucléaires effectués à Mururoa et à Fangataufa entre 1966 et 1996 par la France. « Ces événements marquent encore les sols et résonnent toujours dans les esprits des Polynésien·nes », révèle-t-elle avant d’ajouter, « cette métaphore chromatique aborde la difficulté de maintenir éveiller les cultures et identités d’un territoire annexé, et exploité. » Au détour d’une vallée, on reconnaît le charme de Tahiti ou de son île sœur, Moorea, que Letizia Le Fur a capturé. Mais dans ce paradis perdu qui a les allures d’un paysage après le passage d’une bombe, l’artiste dévoile son message : « profitez de cette splendeur, mais n’oubliez pas de la préserver. »

Edward Burtynsky : dénoncer l’empreinte humaine

La question écologique est également au centre du travail d’Edward Burtynsky dans sa série African studies (Études Africaines, en français, ndlr). Ayant examiné la mondialisation chinoise durant de nombreuses années, l’artiste canadien se délocalise sur le continent Africain, espace privilégié pour l’implémentation des usines de la Terre du Milieu, mais aussi région stratégique des Nouvelles Routes de la soie initiée par le gouvernement de Xi Jinping en 2013. Embarquant dans un Cessna, il compose, à travers des paysages très picturaux, une dénonciation de l’empreinte humaine. « J’ai exploré l’Afrique pour sa beauté et son industrie qui se développe à grande vitesse, dévoile l’artiste. Mes images hyperréalistes représentent autant des lieux à couper le souffle que les blessures que nous infligeons à la planète. » Dans ces écosystèmes multiples, des lacs aux mines de sel en passant par les déserts, il crée des ponts entre les vivants et leurs environnements, tout en se positionnant en pédagogue : « Grâce à l’art, les êtres humains peuvent être plus conscient·es de l’impact de leurs actions », soutient-il. Les œuvres du photographe conversent avec la Loire par-delà les fenêtres du domaine. Peut-être, une façon de rappeler que peu importe le lieu ou le continent, nous devons protéger notre Terre.

Gold Tailings #1, Doornkop Gold Mine, Johannesburg, South Africa, 2018 © Edward Burtynsky, courtesy Nicholas Metivier Gallery, Toronto
Lake Logipi #1, Rift Valley, Kenya, 2017 © Edward Burtynsky, courtesy Nicholas Metivier Gallery, Toronto
Série Hespérides, 2023 © Laurent Millet, courtesy Galerie Binome, Paris
Tanzanie Tarangire, Baobabs, 1987 © Nicolas Bruant
System © Jens Liebchen
Décolorisation, 2024
© Letizia Le Fur, courtesy Galerie Julie Caredda – Paris
À lire aussi
Chaumont-Photo-sur-Loire : l'émerveillement de nature
© Loredana Nemes
Chaumont-Photo-sur-Loire : l’émerveillement de nature
Comme à l’accoutumée, Chaumont-Photo-sur-Loire investit le domaine qui inspire son nom le temps de la saison froide. Six photographes…
28 novembre 2023   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Letizia Le Fur, Mythologies III : Les métamorphoses : à l’aune d’un renouveau
© Letizia Le Fur
Letizia Le Fur, Mythologies III : Les métamorphoses : à l’aune d’un renouveau
Troisième et dernier chapitre de son projet au long cours, Mythologies III : Les métamorphoses, dévoile une nature foisonnante et…
21 août 2023   •  
Écrit par Ana Corderot
Laurent Millet en quête du jardin impossible
© Laurent Millet, Hespérides
Laurent Millet en quête du jardin impossible
Laurent Millet explore une multitude de techniques anciennes afin d’imaginer des œuvres hybrides. Hespérides, véritable jardin des…
15 mars 2024   •  
Écrit par Milena III
Explorez
Que reste-t-il après le feu ? : des images, des voix, des actifs
Totems de mémoire en forêt © Alexandre Dupeyron
Que reste-t-il après le feu ? : des images, des voix, des actifs
À l’écomusée de Marquèze, jusqu’au 28 septembre 2025, l’exposition 600° – La forêt après le feu du collectif LesAssociés, pose une...
19 juin 2025   •  
Écrit par Fabrice Laroche
Hendrik Paul : un besoin de nuit
© Hendrik Paul, Dark Light
Hendrik Paul : un besoin de nuit
Avec Dark Light, Hendrik Paul signe un livre de photographie argentique en noir et blanc, publié chez Datz Press, qui explore la nuit, le...
17 juin 2025   •  
Écrit par Milena III
Hommage à Sebastião Salgado, humaniste soucieux de la nature
© Fisheye Magazine
Hommage à Sebastião Salgado, humaniste soucieux de la nature
Sebastião Salgado est décédé ce vendredi 23 mai 2025 à l’âge de 81 ans. Tout au long de sa carrière, le photographe a posé un regard...
26 mai 2025   •  
Écrit par Eric Karsenty
Dans l’œil d’Aletheia Casey : le rouge de la colère et du feu
© Aletheia Casey
Dans l’œil d’Aletheia Casey : le rouge de la colère et du feu
Cette semaine, nous vous plongeons dans l’œil d’Aletheia Casey, dont nous vous avons déjà parlé il y a quelques mois. Pour Fisheye, elle...
28 avril 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Fisheye #72 : la photographie comme acte de résistance
© Luke Evans
Fisheye #72 : la photographie comme acte de résistance
À travers son numéro #72, Fisheye donne à voir des photographes qui considèrent leur médium de prédilection comme un outil de...
Il y a 10 heures   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Wolfgang Tillmans revient sur sa carte blanche au Centre Pompidou
Wolfgang Tillmans à la Bpi, janvier 2025 © Centre Pompidou
Wolfgang Tillmans revient sur sa carte blanche au Centre Pompidou
Le Centre Pompidou lui donne carte blanche jusqu’au 22 septembre 2025, dernier accrochage avant la fermeture du bâtiment pour cinq ans de...
03 juillet 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Sous les paupières closes : un rêve surréaliste à Arles
Two Dinners, 2024 © Nyo Jinyong Lian
Sous les paupières closes : un rêve surréaliste à Arles
Du 7 juillet au 5 octobre 2025, la Fisheye Gallery ouvre son espace arlésien à quatre artistes émergentes : Eloïse Labarbe-Lafon, Anna...
02 juillet 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Marco Dos Santos fait feu de tout bois
© Marco Dos Santos
Marco Dos Santos fait feu de tout bois
Mais peut-il seulement tenir en place ? Depuis plus de vingt ans, Marco Dos Santos trace une trajectoire indocile à travers les scènes...
02 juillet 2025   •  
Écrit par Milena III