« Aujourd’hui, on met surtout l’accent sur le plaisir, en oubliant que cette souffrance fait partie de l’existence humaine. C’est ce que j’ai voulu évoquer à travers cette photographie : ce sentiment que l’on repousse, comme la peste à l’époque, pour essayer d’aller mieux. »
Cette semaine, plongée dans l’œil de Justine Valençon, que nous avions déjà rencontrée au cours de l’été 2022. Au fil de ses différents projets, la photographe belge décline ses visions de la féminité. Pour Fisheye, elle revient sur l’un de ses collages, extrait de Fe(male), une série qui évoque la sentimentalité au travers de quatre personnages phares.
« Il s’agit de l’image centrale de la série que j’ai appelée Fe(male). Elle s’inspire des médecins qui, en Europe, au XVIIe siècle, soignaient les victimes de la peste. Ils portaient ces fameux masques dotés d’un long bec d’oiseau afin de se protéger de la maladie, qui était alors le mal le plus redouté au monde. Ils pensaient que cela fonctionnait, mais, malheureusement, ce n’était pas le cas. Je me suis dit que c’était assez représentatif de ce que je voulais exprimer ici par rapport à l’amour : un mélange d’espoir et de peur. Cette image en particulier est donc, selon moi, l’allégorie de la “jouissance sentimentale”. C’est le jouir et le souffrir qui se rejoignent en une seule et même chose, incarnée par la mariée confiante et par le haut de la photo, beaucoup plus triste.
La jouissance sentimentale, qu’est-ce que c’est sinon l’épreuve d’une relation ? Lorsque l’on aime quelqu’un, il y a cette crainte que la personne nous échappe, il faut parfois surmonter des peines, des phases de doutes, il faut assumer sa vulnérabilité… On se retrouve au cœur d’une expérience assez pénible et extrêmement heureuse à la fois. Cela va à l’encontre de l’utopie amoureuse véhiculée dans les livres ou dans les films qu’on lit et regarde dès notre plus jeune âge. Aujourd’hui, on met surtout l’accent sur le plaisir, en oubliant que cette souffrance fait partie de l’existence humaine. C’est ce que j’ai voulu évoquer à travers cette photographie : ce sentiment que l’on repousse, comme la peste à l’époque, pour essayer d’aller mieux. Finalement, l’amour est une expérience anti-idyllique. Donner une telle caution à l’utopie revient à se refuser d’accepter ce qu’il faut vivre dans cette expérience. »