Elie Monferier : le filon au bout de l’échec

25 avril 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Elie Monferier : le filon au bout de l’échec
© Elie Monferier
© Elie Monferier
© Elie Monferier

Imaginé durant une résidence de territoire au cœur du Couserans, en Ariège, Journal des mines, autoédité par Elie Monferier, s’impose comme un ouvrage tourné autour de la notion d’empêchement. Cet article est à retrouver dans notre dernier numéro.

« Narration, éditing, choix du format, du papier, de la reliure ou encore de la typographie… Dans l’autoédition, on maîtrise tout le processus. Progressivement, on passe de la direction artistique au graphisme pur – et les deux sont imbriqués. Si un ouvrage est un simple cata- logue, avec de belles images, ça ne m’intéresse pas. Je recherche un supplément d’âme, qu’il ne possède pas lorsqu’il est réalisé de manière industrielle », déclare Elie Monferier. C’est lors d’un workshop avec Tomasz Laczny que le photographe bordelais fait ses premiers pas dans le monde de l’édition. À son contact, il se rend compte de la valeur de ces créations uniques, et de l’existence d’un public amateur de ce genre de parutions « jamais complètement reproductibles ». À l’époque, il travaille sur Sang Noir, une série monochrome aux contrastes bruts, pour laquelle il suit des chasseurs durant une journée. Dans l’adrénaline de la poursuite et la rudesse des bois, il capture l’hybris de l’Homme en lutte contre la force sauvage. La puissance narrative du projet se doit d’être préservée dans les pages d’un livre. Tout comme Sacre (sa suite), nourri par l’énergie vitale des êtres sans cesse rattrapés par leur finitude. Et tout comme son premier projet, Forever Young, série réalisée dans la temporalité distendue des nuits sans sommeil, « influencée par Anders Petersen et Jacob Aue Sobol ». Car pour Elie Monferier, « les photographies sont au service d’une expérience – sensorielle, narrative – qui passe par le toucher et l’odeur du papier, la taille des pages, la manière de les manipuler. Il est essentiel de malmener l’image dans un ouvrage. » Une démarche viscérale, conférant à ses éditions une charge émotionnelle certaine. Comme un écho aux sujets qu’il aime illustrer.

C’est dans le cadre d’une résidence de territoire organisée en Ariège par l’association Autres directions que l’artiste réalise son Journal des mines. « Cela arrivait à un moment où je n’avais pas fait de photographies depuis longtemps, car je travaillais sur des livres et des expositions. Et si la résidence était axée sur la recherche et l’expérimentation – je n’avais pas d’obligation de rendu – je me suis mis au défi de réaliser, durant ces deux semaines, un projet sous la forme d’un fanzine, par exemple. Une sorte de restitution de l’expérience », se souvient-il. En se lançant dans des recherches préliminaires, il découvre un passé industriel très riche, et l’existence de la plus haute mine d’Europe : celle du Mail de Bulard. « Une dimension à la fois vertigineuse et héroïque entourait cette mine nichée à 2 700 mètres d’altitude », précise l’auteur. Mais, une fois sur place, la neige l’empêche de s’y rendre. « De nature obstinée, j’ai voulu visiter d’autres mines, situées plus bas dans la vallée, pour continuer mon projet coûte que coûte. Mais pendant deux semaines, je n’ai été confronté qu’à des sites fermés, oubliés, ou perdus dans la végétation. Je n’ai, au final, rencontré que l’absence et l’échec », poursuit-il. Un motif qui lui inspire un concept graphique. C’est donc l’empêchement qui rythme la réalisation de l’ouvrage : doublées, les pages ne révèlent qu’en partie des archives, à peine discernables lorsqu’on essaie de les plier. D’autres images courent sur deux pages, par défaut coupées en leur centre. Même le texte qui accompagne les clichés – « dans lequel j’établis un parallèle entre l’action de miner et la recherche photographique, et m’interroge sur ce qu’on trouve au bout de l’échec », explique Elie Monferier – est truffé de barres noires venant censurer des extraits, rendant la lecture impossible. Jusqu’au point final, la production se révèle laborieuse. « C’est le livre le plus difficile que j’ai réalisé. Pour les précédents, j’avais eu recours à des prestataires au moment de l’impression. Là, j’ai tout fait à l’aide d’une machine qui n’est pas faite pour encaisser de trop grandes quantités de tirages », précise l’auteur.

© Elie Monferier
© Elie Monferier
© Elie Monferier

Des ruines d’une autre vie

Chaque exemplaire nécessite six heures de travail. Une confection chronophage résonnant avec le fil rouge de son récit : un processus lent, un parcours semé d’embûches. Le résultat est là ; des images d’archives lissées par un noir et blanc les enfermant dans le passé aux paysages hivernaux sublimés par des teintes bleutées, des ruines d’une autre vie au rien qui la représente maintenant, du cuivre lourd de la couverture aux gravures, des fragments littéraires aux intérieurs austères qu’arpente le photographe, Journal des mines dit l’absence et la ruine avec une finesse remarquable. Une plongée dans « ce qui est souterrain », dans l’invisible qu’on s’entête à vouloir capturer. Et, en s’emparant de l’entièreté du processus créatif, Elie Monferier parvient à faire perdurer les sensations intenses qui habitent ses clichés, pour mieux les communiquer aux lecteurices. « J’aime les livres photo autoédités et artisanaux parce que j’ai un peu l’impression d’emporter avec moi une partie de l’artiste et du temps passé à la réalisation de son œuvre. Avec la reproductibilité technique, les œuvres ont perdu de leur aura. Grâce à l’autoédition, on revient à quelque chose d’unique. Chaque exemplaire est différent. Ce que j’aime, ce sont justement ces différences, ces imperfections, ce côté artisanal, rugueux, qui a une personnalité », explique-t-il.

© Elie Monferier
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