À l’Écomusée de Marquèze, jusqu’au 28 septembre 2025, l’exposition 600° La forêt après le feu, du collectif LesAssociés, pose une question simple : que faire pour que cela ne se reproduise plus ?
L’été 2022 a laissé des traces profondes en Gironde. Les incendies de La Teste-de-Buch et de Landiras ont ravagé plus de 29 000 hectares de forêt et bouleversé un territoire entier. Face à cette catastrophe, le collectif LesAssociés répond avec 600° – La forêt après le feu, une exposition immersive présentée à l’Écomusée de Marquèze. Photographies, objets brûlés, témoignages, vidéos, sculptures : le projet prend la forme d’un parcours sensible, déployé à la fois dans les salles du musée et sur les lieux mêmes des incendies. Trois cabanes, conçues par l’architecte Quentin Vieuille, y ont été installées pour accueillir certaines œuvres, en écho direct au terrain brûlé. 600° ne se veut pas une exposition close. Elle interroge autant qu’elle montre. C’est un projet de lenteur et de densité, une tentative de construire des récits, non pas sur, mais avec les lieux, les personnes et les histoires. Et toujours, en creux, cette question : que faudrait-il faire pour que cela n’arrive plus ?
Témoigner du réel
Pas de signatures visibles. Juste des œuvres, offertes au regard. Dès l’entrée de l’exposition, en très grand format, les photographies d’Olivier Panier des Touches. Ses images de la forêt d’Hostens inversent tout : le ciel devient sol, les arbres couchés dessinent des lignes brisées. On perd ses repères. Des blessures ouvertes qu’on observe sans pouvoir les refermer. Suivent les photographies de Michaël Parpet, qui saisit les formes végétales réapparues dans les zones brûlées. Son travail, analogique, en noir et blanc, capte des détails infimes du vivant, dans l’attente fragile d’un renouveau.
Joël Peyrou et Alban Dejong présentent Paroles et visages des cendres, un dispositif associant portraits photographiques installés sur des palettes en bois brut, en face d’extraits de témoignages punaisés au mur, sur papier kraft. Des paroles brutes, sobres, qui résonnent avec les regards photographiés. Une œuvre discrète, marquée par la retenue.
Un triptyque vidéo projette en boucle 428 images collectées à partir des téléphones des habitant·es du territoire meurtri. Elles apparaissent sur trois écrans juxtaposés, dans un dispositif sobre : des mains tenant un téléphone, filmées en gros plan. Floues ou nettes, brutes, elles n’ont rien d’esthétique. Elles témoignent d’un instant vécu. Une mémoire collective, fragile, restituée sans filtre. Ce n’est qu’un début. D’autres archives, de grands formats, des vidéos discrètes mais percutantes complètent le dispositif. Une première salle, entre écrans et photographies, donne la mesure de l’ampleur comme de la retenue du projet.
Ce qu’il reste
Plus loin, Élie Monferier présente une série d’objets calcinés, reproduits en grands tirages bruns : cassette audio, boîte, fragments du quotidien. Tous ont été ramassés sur place. Ce ne sont pas des images spectaculaires, mais des restes, des indices muets. Une cicatrice à ciel ouvert, un passé qui persiste. Suit une grande fresque où tout se mêle : visages, matières, sons, paysages. Le feu a tout bouleversé, jusqu’à nos repères. Impossible de fragmenter.
Alexandre Dupeyron sculpte avec ce qui a brûlé. Un tronc brulé devient une colonne, mi-bois mi-béton. Une série d’images en gomme bichromatée prolonge cette matérialité transformée : texture granuleuse, éclats d’un monde touché par le feu. En juillet 2025, une partie de ce travail sera présentée aux Rencontres d’Arles à la Fondation Manuel Rivera-Ortiz Une manière de faire circuler cette expérience, de la confronter à d’autres récits, d’autres territoires.
Voix et images
Pas de mise en scène, pas de narration appuyée. Juste des voix, des images partagées sans détour. Le film photographique réalisé par Cyrille Latour, avec Frédéric Corbion au montage sonore, prend la forme d’un diaporama de 52 minutes. Les prises de son sont assurées par Camille Lévêque et Océane Ragoucy. Pendant deux ans et demi, l’équipe a mené une enquête de terrain : arpenter les zones brûlées, recueillir la parole, documenter l’après. Le film croise images fixes, sons d’ambiance et témoignages d’habitant·es sinistré·es. Il accompagne l’exposition sans la résumer. Simple et bouleversant, il propose une autre entrée dans le récit. Une manière d’écouter ce qui a été vécu, de sentir ce qui reste.
600° se prolonge par un livre de 280 pages publié par Corps 14 éditions. Pensé comme un écho à l’exposition, l’ouvrage articule textes, images et regards croisés : anthropologie, photographie, sylviculture, géographie, littérature. Le feu y est traité autant comme événement que comme révélateur. Divisé en deux parties – Feu couvant (portfolio photographique) et Sentiers de recherche (textes critiques et sensibles) – le livre fait dialoguer les récits sans les illustrer. Un objet dense, collectif, où chaque voix prend part au travail de mémoire.