Face à face avec The Enemy

Face à face avec The Enemy

The Enemy est l’un des projets de réalité virtuelle les plus ambitieux jamais produits. Une installation qui propose de changer notre regard sur les conflits qui agitent la planète. Récit d’une visite virtuelle qui se transforme en rencontre. Cet article, rédigé par Fabbula, est à retrouver dans notre dernier numéro.

Que vaut une photo de guerre aujourd’hui ? Noyée dans un flux, consommée en une seconde, comment l’image de reportage peut- elle encore changer les esprits ? Comment relever aujourd’hui le défi du photojournalisme, celui d’exercer un impact sur ceux qui ont le pouvoir – pouvoir d’opinion, de vote ou d’intervention ? C’est une interrogation qui taraude Karim Ben Khelifa depuis vingt ans. Photographe habitué à « couvrir les guerres », cela faisait longtemps qu’il cherchait de nouveaux dispositifs pour présenter ses images quand, en 2013, il découvre la réalité virtuelle. Et si cette dernière pouvait avoir une influence ? Et si son pouvoir d’immersion permettait de changer les regards ?

Karim Ben Khelifa fait alors le pari de créer une expérience à partir de ses images. Une plongée au plus près de ce qu’il observe sur le terrain, en particulier sur les « conflits perpétuels », comme le conflit israélo-palestinien, la guerre des gangs au Salvador et les luttes en République démocratique du Congo. Son pari est de rendre ces combattants visibles, de révéler leurs histoires d’hommes nés avec la guerre. Des hommes pour qui l’autre, en face, est une menace existentielle. Karim Ben Khelifa forme une équipe dont la détermination convainc de nombreux partenaires, dont le Massachusetts Institute of Technology (MIT), le Sundance Institute et la fondation Ford, qui s’associent pour produire une installation documentaire inédite.

Quatre ans plus tard, en 2017, l’installation The Enemy est montrée pour la première fois à l’Institut du monde arabe, à Paris. Vingt personnes équipées de casque de réalité virtuelle vont à la rencontre de Gilad et d’Abu Khaled, de Jorge Alberto et de Vladimir Amilcar, de Jean de Dieu et de Patient – des guerriers aux visages parfaitement reconstitués grâce aux derniers progrès de la photogrammétrie et de l’image de synthèse. Les détails sont saisissants et la technologie trouble les perceptions. Quelles parties de ces corps virtuels sont filmées, lesquelles sont animées ou photographiées ? S’agit-il d’une reconstruction ou d’une captation ?

© Helene Adamo

© Hélène Adamo

Être l’autre

Des pensées qui affleurent alors que l’on écoute les histoires de chacun. Ont-ils déjà tué ? Quel est le plus beau moment de leur vie ? Que pensent-ils de leurs ennemis ? Les mêmes questions leur sont posées, et chacun répond selon son expérience, alternant déclarations terrifiantes et moments de grâce. On repart avec des interrogations plein la tête et des images gravées dans la mémoire : la présence incroyable de Jorge Alberto, le regard de Jean de Dieu qui vous suit lorsqu’il parle, l’anxiété palpable du soldat dont la jambe s’agite nerveusement… Lors d’une conversation, je demande à Karim Ben Khelifa si les combattants ont eux-mêmes essayé The Enemy. C’est arrivé une fois, un peu par hasard. Gilad, soldat israélien, a « rencontré » deux fois le Palestinien Abu Khaled. Mais l’expérience n’a pas été concluante : Gilad en est sorti en déclarant : « Ils disent tous la même chose. » Pourtant, six mois plus tard, l’Israélien a repensé à la question centrale de The Enemy : « Pourrais-je être cet autre ? Qu’est-ce qui se passerait si j’étais à la place de mon ennemi ? » Et là, au détour d’une cigarette, l’homme a confié que, oui, si, comme Abu Khaled, il était né en Palestine, il serait sans doute devenu comme lui.

Fort du succès de l’expérience dans son dispositif spatial, The Enemy se décline aujourd’hui sur smartphone et en réalité augmentée. En téléchargeant l’application, vous pouvez recréer les conditions de l’installation et écouter l’histoire de ces combattants qui se font face. Une manière de découvrir, à hauteur d’homme, des conflits qui vous sembleront moins lointains.

© Karim Ben Khelifa© Karim Ben Khelifa
© Karim Ben Khelifa© Karim Ben Khelifa
© Karim Ben Khelifa© Karim Ben Khelifa
© Karim Ben Khelifa© Karim Ben Khelifa
© Karim Ben Khelifa© Karim Ben Khelifa

© Karim Ben Khelifa

Cet article est à retrouver dans Fisheye #30, en kiosque et disponible ici.

Explorez
Simon Vansteenwinckel remporte le prix Nadar Gens d’images 2025
© Simon Vansteenwinckel
Simon Vansteenwinckel remporte le prix Nadar Gens d’images 2025
Le nom du lauréat de la 71e édition du prix Nadar Gens d’images vient d’être annoncé : il s’agit de Simon Vansteenwinckel. Le jury l’a...
06 novembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
a ppr oc he : Rencontre au cœur de l’image
© Emile Gostelie
a ppr oc he : Rencontre au cœur de l’image
Dans cet espace pensé comme une exposition, un·e photographe et un·e commissaire croisent leurs regards. Pour cette première édition...
06 novembre 2025   •  
Écrit par Fabrice Laroche
Fisheye #74 sonde la notion d’éthique en photographie
© Stan Desjeux
Fisheye #74 sonde la notion d’éthique en photographie
Fisheye #74 sera disponible en kiosque ce samedi 8 novembre ! En ce mois consacré à la photographie, notre nouveau numéro s’intéresse à...
06 novembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Laura Menassa : Beyrouth comme corps et paysage
© Laura Menassa
Laura Menassa : Beyrouth comme corps et paysage
Entre journal intime visuel et témoignage collectif, le travail de Laura Menassa explore la fragilité et la résilience au cœur de...
04 novembre 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Nos derniers articles
Voir tous les articles
L’intimité au cœur de Planches Contact Festival 2025
© Carline Bourdelas / Planches Contact Festival
L’intimité au cœur de Planches Contact Festival 2025
Jusqu’au 4 janvier 2026, la 16e édition de Planches Contact Festival anime Deauville et propose une diversité de regards sur un même...
À l'instant   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Laura Lafon Cadilhac : s'indigner sur les cendres de l'été
Red Is Over My Lover. Not Anymore Mi Amor © Laura Lafon Cadilhac
Laura Lafon Cadilhac : s’indigner sur les cendres de l’été
Publié chez Saetta Books, Red Is Over My Lover. Not Anymore Mi Amor de Laura Lafon Cadilhac révèle un été interminable. L’ouvrage se veut...
07 novembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Écofemmes Fest : un rendez-vous pour créer, lutter, transmettre
Trenza, le lien qui nous unit, 2025 ©Gabriela Larrea Almeida
Écofemmes Fest : un rendez-vous pour créer, lutter, transmettre
Jusqu'au 9 novembre prochain, La Caserne, dans le 10e arrondissement de Paris, accueille la première édition d’Écofemmes Fest, un...
07 novembre 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Simon Vansteenwinckel remporte le prix Nadar Gens d’images 2025
© Simon Vansteenwinckel
Simon Vansteenwinckel remporte le prix Nadar Gens d’images 2025
Le nom du lauréat de la 71e édition du prix Nadar Gens d’images vient d’être annoncé : il s’agit de Simon Vansteenwinckel. Le jury l’a...
06 novembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet