C’est le glapissement d’un renardeau ou le cri d’une corneille qui a dû alerter les passant·es sur la route, près du bosquet, dans la forêt. C’est par ces mêmes passant·es qu’ils ont été confiés au centre de soins pour animaux sauvages Faune Alfort. Arrivés sur place en souffrance – pelage écorché, ailes brisées, pattes abîmées –, ils y ont trouvé refuge, délaissant leur terrier ou leur ciel infini pour des couvertures, des mains d’hommes et des voilages protecteurs. C’est ici, entre la tendresse du personnel soignant et la détresse de la faune sauvage, qu’Aurélie Scouarnec a posé son regard pour composer Feræ.
Si ce projet photographique a commencé en 2020, quelques mois après la découverte de l’association animant ce centre, la fascination de la photographe pour les animaux est bien antérieure. « Petite, mon père m’emmenait souvent avec lui faire des affûts pour photographier les animaux sauvages. Il fallait faire attention au sens du vent, se camoufler, se poster au bon endroit, puis attendre parfois longtemps, avec le corps qui s’engourdit, pour avoir la chance de voir passer un animal tout près. Il m’a transmis sa fascination et son respect pour la faune sauvage, m’apprenant au passage à en identifier beaucoup – ce que peu de gens savent faire. Cette ignorance les empêche de les voir. Se mêle à cela une conscience aiguë de leur vulnérabilité face à l’emprise humaine ; une chose qui me bouleverse et m’est difficilement supportable. La disparition des espèces est quelque chose dont j’ai pris conscience très tôt », avoue-t-elle. Réalisé en partenariat avec l’École nationale vétérinaire d’Al- fort (Enva), le Centre de soins, d’élevage, de réhabilitation de la faune sauvage (CSERFS) de Mandres-les-Roses et l’association des Rémiges noires à Chennevières-sur-Marne, Feræ (du latin « animal sauvage ») témoigne de l’extinction progressive des espèces et de l’effort pour les sauvegarder.
Se joue alors une valse sourde entre les bras qui dispensent les ablutions et les muscles des bêtes qui se débattent par méfiance envers l’homme. Renards, chouettes, cygnes, buses… Ils sont tous là, abîmés et captifs, passagers d’une maison qui les accueille, impatients de retrouver l’horizon de leur liberté. Cette série poignante est rassemblée en un très bel ouvrage publié aux éditions Rue du Bouquet, où le blanc des plumages et la douceur des pelages contrastent avec l’obscurité d’un profond désarroi. Ce traitement particulier de la lumière révèle en douce la précarité de ces structures. En côtoyant celles et ceux qui s’occupent des animaux, Aurélie Scouarnec a pris conscience de la fragilité des associations, qui manquent de soutien financier et dont le personnel s’épuise devant l’afflux d’animaux blessés.
Parallèlement à ce constat, l’artiste élucide certains mystères du monde animal, découvrant les caractéristiques insoupçonnées de plusieurs espèces. Avec en prime des moments de grâce : « J’aime cette image du “Cygne avant le bain”. Le grand évier vient d’être rempli pour le bain quotidien de ce cygne tuberculé. Sa patte blessée ne lui permet pas de supporter le poids de son corps. L’immobilisation d’un cygne se fait en glissant sa tête sous son aile, le temps de le porter jusqu’à l’eau. La bénévole le soulève, le prend dans ses bras et l’enserre solidement contre son buste. Un corps-à-corps impressionnant dont je parviens à saisir une image, juste une. Une vision que je garderai longtemps en moi », confie-t-elle. L’animal sauvage s’est dérobé derrière le soutien de l’humain qui l’accompagne dans son rétablissement. Demain peut- être, avec un peu de patience, il s’élancera à nouveau, caressant de ses grandes ailes blanches l’eau et le vent, comme le symbole d’une paix retrouvée.
Cet article est à retrouver dans Fisheye #62, disponible ici.