Jusqu’au 13 octobre 2024, le festival InCadaqués dévoile sa programmation au détour des ruelles du charmant village espagnol. Une 8e édition dédiée à l’expérimentation – au travers de monstrations inédites et d’œuvres pluridisciplinaires mariant poésie et créativité.
Sous le soleil méditerranéen, face aux bourrasques de la tramontane, s’est ouvert, le 3 octobre, la 8e édition du festival de photographie InCadaqués. Organisé dans les galeries d’art du village espagnol comme sur les baies qu’il abrite, l’événement présente, cette année, 25 expositions et non moins de 40 artistes internationaux. Dans l’eau azur de la mer, au cœur d’un casino, sur les vitraux d’une église, dans des bars ou sur les murs mêmes de Cadaqués, les œuvres se déploient, au cœur d’une monstration étonnante évoquant sans peine la créativité du mouvement surréaliste, dont plusieurs figures importantes ont été inspirées par la région – parmi elleux, Salvador Dalí, Man Ray, ou encore Marcel Duchamp.
Et, comme un hommage à ces grands auteurs, le festival lance son premier vernissage dans les jardins de la maison de Dalí, dont les hauteurs offrent une vue splendide sur les flots. Y exposent Laia Abril et Joan Fontcuberta. Les deux artistes, en résidence de création sur le territoire, révèlent des travaux complémentaires, aux monochromes poétiques. À partir des archives de la Fondation Gala-Salvador Dalí, tous·tes deux explorent, dans un univers peuplé d’ombres granuleuses, de coquillages aux formes étranges et de corps déconstruits, l’iconographie emblématique du peintre de renom. S’affranchissant de leurs obsessions respectives – le rapport au réel en photographie pour l’un, les combats féministes pour l’autre – iels livrent un ensemble de fragments aux nuances subtiles, porteurs de symboles et de métaphores qu’il nous faut déchiffrer.
Expérimentations : entre collage et colorisation
C’est d’ailleurs cette puissance évocatrice qui unit les auteurices de cette 8e édition. Privilégiant la recherche artistique, l’osmose entre les médiums et l’expérimentation esthétique à la simple illustration de la réalité, tous et toutes dévoilent des travaux uniques sublimant le charme du village. Comme une évasion sensible entre les murs blancs et le soleil automnal. Se spécialisant dans le collage, Anna Muller (Atelier de la Galerie Fort) rend hommage aux dadas et surréalistes en superposant des images analogiques pour composer des créatures chimériques faites de morceaux d’architecture et d’organique. Au cœur de ses œuvres, comme un écho à l’espace, la présence de Dalí émerge, dans une moustache ou un assemblage insolite. Adepte des mêmes techniques, Lia Rochas-Páris (Galerie Anne G.) s’intéresse quant à elle aux matériaux, qu’elle considère porteurs des vestiges d’une époque. Croisant les textures, les formes figuratives et les nuances subtiles, elle érige des compositions aussi abstraites que captivantes.
Colorisant ses images à la main, l’artiste libanaise Rima Samman (Teatro Art I Joia) met en lumière le sentiment de nostalgie provoqué par la distance qui la sépare de sa famille. Comme un filtre ravivant les émotions, elle pare ses souvenirs de tonalités pop et rajeunit les archives à coups de crayon. Une démarche semblable à celle d’Éloise Labarbe-Lafon. La lauréate 2024 du concours open call InCadaqués présente, dans les ruines de la Coral de la Gala, Motel 42. Une série d’autoportraits réalisée sur film noir et blanc. Colorant les mises en scène à la peinture à l’huile, la photographe révèle des atmosphères, fait naître des sensations. Parmi les tons pastel, l’évocation d’un road trip atemporel surgit, entre le blanc des draps, l’écran des postes de télévision, et les joues rosies d’une jeune femme perdue dans une mystérieuse contemplation.
Le village sublimé
Dans les charmantes rues pavées du village, la Galerie Uttería accueille Le mourant qui ne mourrait pas, série lauréate du Prix Fotografia Feminina InCadaqués x Fisheye. Sur les murs blancs de l’espace, les tirages contrastent, détaillent le récit touchant que la photographe dédie à son père, contaminé par le VIH lors d’une transfusion sanguine. Plus haut encore, au cœur des ruelles, les compositions de Chieko Chiraishi habillent les cimaises de la Galerie Santa Rita. Dans la chambre noire, l’autrice japonaise élabore des images sombres aux contrastes estompés. Dans l’univers gris qu’elle érige, les détails se devinent – les contours d’une plante, le velouté d’un manteau, la silhouette colossale d’une baleine – pour mieux s’affranchir d’un réel réducteur et donner naissance, dans le bruit du monde, à une forme de contemplation.
Enfin, parmi les vagues et l’écume, sur la plage Port d’Alguer et à l’Atelier de Natàlia Tomàs, les clichés de Christopher Barraja prolongent un été qui semble, ici aussi, refuser de s’en aller. Sous son soleil niçois, le photographe capture des corps et des horizons, suit le cours d’une goutte d’eau sur un dos et la langueur des paupières qui se ferment, dans une torpeur impérieuse. Sur les murs, les tons orangés se font l’écho d’une lumière familière – celle de la baie méditerranéenne. Une immersion en deux temps qu’on ne peut s’empêcher de savourer.