Lee Miller d’Ellen Kuras sort en salles ce mercredi 9 octobre. Porté par Kate Winslet, qui y signe une performance remarquable, le film revient sur dix années marquantes de cette artiste et reporter au destin romanesque qui, grâce à sa détermination, a transformé à jamais la photographie de guerre.
Il y a quatre-vingts ans, les Alliés débarquaient sur les plages de Normandie. La Seconde Guerre mondiale vivait alors ses derniers mois de combats, auxquels Lee Miller assista en partie. Arrivée par Omaha Beach le 12 août 1944, elle devait saisir les contours de Saint-Malo libérée. Toutefois, elle se retrouva au cœur des affrontements et fut la seule à couvrir le siège de la ville. Avant que la guerre n’éclate, rien ne semblait la prédestiner à marquer l’histoire de cette façon. Ancienne mannequin repérée par Condé Nast en personne, elle eut tôt fait d’être lassée de son rôle de muse et décida de se rendre à Paris pour passer derrière l’objectif. Évoluant dans les cercles artistiques de la capitale, elle fit d’abord la rencontre de Man Ray, qui la familiarisa au mouvement surréaliste. Quelques années plus tard, après avoir découvert la technique de la solarisation et ouvert son propre studio à New York, qui connut un franc succès, elle se lia à Roland Penrose, un artiste et marchand d’art anglais. Elle s’installa chez lui, à Londres, jusqu’au basculement de l’Europe, en septembre 1939, à la suite de l’invasion de la Pologne par l’Allemagne nazie.
Animée par une volonté d’apporter sa pierre à l’édifice, et arrivée à cet entre-deux où les femmes, plus assez jeunes, mais pas encore assez âgées, sont souvent invisibilisées, cette force de la nature aux mille vies fit voler en éclat les préceptes de son temps. D’un caractère pugnace et audacieux, elle réussit à obtenir une accréditation de l’armée américaine pour devenir correspondante pour British Vogue. Dès lors, elle put rejoindre l’Europe continentale, ravagée par les conflits, afin d’y réaliser des reportages sur la ligne de front. C’est le début d’une décennie qui changera à jamais le cours de son existence et que le dernier film d’Ellen Kuras, désormais disponible au cinéma, retrace par le biais d’un astucieux dispositif narratif. Sobrement intitulée Lee Miller, la biographie romancée a par ailleurs été composée en collaboration avec Antony Penrose, le fils de la photographe.
Témoigner des atrocités
Pour Kate Winslet, se concentrer sur cette période bien précise de la vie de Lee Miller, à qui elle prête ses traits avec brio, permet « d’évacuer toutes les idées reçues sur son image de modèle scrutée par des artistes hommes ». « On voulait raconter la vérité, sans concession, sur sa personne et comprendre son évolution lorsqu’elle décide de photographier des scènes de guerre », explique-t-elle dans un communiqué. À mesure que le film se déroule, le public suit sa traversée du continent dans les pas des soldats américains, aux côtés de David E. Scherman, photojournaliste pour Life incarné ici par Andy Samberg. Munie de son Rolleiflex, elle saisit des détails qui se détachent, donne une voix aux victimes et témoigne ainsi des atrocités du régime nazi, que les populations découvriront par la suite, notamment grâce à ses tirages. À l’écran, ces derniers apparaissent subtilement et reprennent vie, retrouvent un contexte que nous ne pouvons qu’imaginer aujourd’hui. Ce traitement de l’image souligne, en outre, toute la complexité de la photographie de guerre, de même que son importance, son rôle clef dans la construction des mémoires, de leur transmission aux générations futures.
Sensibiliser un lectorat à l’effort de guerre
En tant que reporter, Lee Miller s’est battue pour raconter l’histoire. Jugées trop choquantes pour British Vogue, ses photographies des camps n’ont finalement été publiées que plus tard dans sa version américaine, dans un article intitulé « Believe it ». S’il peut sembler étonnant qu’un média féminin ait pu montrer la guerre de manière aussi concrète, les différentes éditions de Vogue se sont pourtant imposées comme des acteurs prépondérants, qui pouvaient jouer sur le moral du front intérieur. Audrey Withers, la rédactrice en chef du titre britannique, interprétée par l’actrice Andrea Riseborough, a contribué à sensibiliser son lectorat à l’effort de guerre. Au fil des numéros, celui-ci pouvait rester informé et avoir accès à d’autres points de vue, à des dossiers articulés autour de la place des femmes dans le conflit. Preuve de sa portée, tandis que de nombreux médias ont dû fermer par faute de moyens, British Vogue est parvenu à obtenir un supplément de papier, comme l’indique le film, grâce au soutien du ministère de l’Information. En plus de participer, dès ses balbutiements, à l’essor de la photographie, à laquelle il laissait une place de choix, le magazine a ainsi offert un espace de parole singulier, parfois paradoxal, à celles et ceux qui n’en avaient pas et a permis à des femmes libres et talentueuses telles que Lee Miller de s’émanciper un tant soit peu de la société patriarcale.