Installée entre Berlin et Hambourg, Lena Kunz développe une œuvre intime inspirée par sa propre histoire. Corps, émotions et tabous s’y mélangent dans un ensemble à la fois brut et doux.
« Je me suis mise à la photographie alors que je cherchais une manière d’apaiser mon esprit », déclare Lena Kunz. Pour décrypter l’œuvre de l’artiste allemande de 30 ans, il faut plonger dans son passé, et celui de ses parents. Maltraîté·es durant leur enfance, ces dernièr·es perpétuent les mauvais traitements subis – devenus automatismes – et les reproduisent une fois adultes.
« C’était à la fois physique et psychologique. Je me suis enfuie de chez moi lorsque j’avais 14 ans », confie l’autrice. Seule, sans ami·es, ni relations au monde extérieur – elle n’avait pas accès à la télévision ni à la musique – elle se construit en marge de la norme, évoluant d’abord dans un foyer, puis dans son propre appartement, dès l’âge de 16 ans. « J’ai mis des années à me remettre de cette expérience. Cela m’a conduit à beaucoup m’interroger. J’ai dû trouver ma voie très rapidement, de manière autodidacte. Je crois que mon enfance m’a rendue intrépide : je ne souhaite me concentrer aujourd’hui que sur le positif », confie-t-elle.
C’est à 17 ans que Lena Kunz achète son premier boîtier. Cherchant un refuge, elle commence à expérimenter au cœur d’un jardin botanique, dont elle capture la végétation. Une action qui l’apaise, calme le bruit de ses pensées. De fil en aiguille, la paix intérieure se propage, et lui permet de tourner son objectif vers l’humain – des soirées slams aux pistes de danse des clubs. À 22 ans, elle entre à Lette Verein Berlin, une école qui lui apprend les fondations de la technique photographique. Depuis, l’artiste ne cesse de figer « ce qui apparaît à la surface de [s]on esprit ». Une approche intuitive qui entend illustrer plutôt que critiquer, pour mieux laisser la place à la réflexion de chacun·e. Une démarche altruiste, nous invitant au cœur de son univers pour mieux nous pousser à remettre en question les fondements établis par notre monde.
La force et l’impact d’un cri
« Les émotions des regardeur·ses changent le monde, je les invite à les confronter », poursuit Lena Kunz. Bercés par des tons doux, des lumières naturelles et une sensation d’immobilité, ses images révèlent néanmoins une vérité brute, sans artifice. Des sensations à fleur de peau, surgissant des clichés avec la force et l’impact d’un cri. « J’aime être directe, faire remuer les choses. Les spectateurices se connectent à la vulnérabilité que je donne à voir. Iels prennent part à mon travail en observant mes images », affirme-t-elle. Thérapeutique par essence, le 8e art agit selon elle comme un moyen d’interagir, avec les autres d’abord, puis à sa propre famille et enfin à elle-même. Une mise à nu – littérale – perçue comme un acte aussi engagé que nécessaire. « J’ai photographié beaucoup de gens avec respect, mais lorsque j’ai voulu qu’on me shoote à mon tour, il n’y avait personne, alors je m’en suis chargée. La nudité renvoie à l’authenticité, l’identité, la vulnérabilité. Elle est synonyme de paix intérieure, puisqu’elle est choisie », explique-t-elle.
À l’instar de Romy Alizée, qui, dans ses performances, défie du regard l’appareil et déconstruit le rapport observateurice/observé·e, Lena Kunz fixe l’objectif, la télécommande à la main, affirmant qu’elle est bien maîtresse de l’action. Sans vêtement, assise et fière, elle révèle, au cœur de plusieurs créations, sa vulve et son sang menstruel, comme un acte militant, appelant à une démocratisation d’un phénomène naturel et pourtant jugé « extrême ». « Je me donne une tribune et invite les autres à faire de même. Je fais en sorte que mon œuvre soit la plus authentique possible », affirme l’autrice. Parmi les branches d’un arbre, à la surface d’un lac, dans le rayon lumineux d’un soleil matinal, Lena Kunz se met en scène, fige son corps dans son intimité la plus totale. Un ensemble illustrant un besoin viscéral de souligner « la connexion, la gentillesse, la compassion – l’amour sous toutes ses formes ». Car malgré les épreuves, par-delà la force des sujets étudiés, c’est avant tout cette émotion qui anime la photographe. « Dans le bruit du monde, il faut se souvenir que votre travail n’est pas pour tout le monde, seulement pour celleux qui ont besoin de vos images et votre histoire. Alors, faites-le pour vous et ignorez le reste », conclut-elle.