Frànçois and The Atlas Mountains, Oscar les Vacances, Hannah Miette, Cindy Pooch, KCIDY… Ces multiples noms partagent une musique indépendante, et un cercle commun. La photographe et styliste Anne-Laure Étienne a contribué à forger l’univers de chacun·e d’entre elleux au moyen de ses mains habiles et de son œil vif.
Anne-Laure Étienne – qui était revenue il y a peu sur l’un de ses puissants clichés, un portrait de la musicienne Cindy Pooch – est née à la fin des années 1980. Comme beaucoup d’autres de sa génération, elle a navigué sur la plateforme MySpace, s’est pavanée avec son iPod Nano, a dévoré la série Skins, découvert YouTube à ses débuts, fantasmé le monde de la fête et celui de la musique. Aussi loin qu’elle s’en rappelle, elle a toujours baigné dans un univers sonore, visuel et cinématographique. « Mark Hunter (alias The Cobrasnake, un photographe américain des années 2000-2010, ndlr) était ma plus grande inspiration, confie-t-elle. Il faisait des photos de mode, de soirées, de musicien·nes célèbres, et il fréquentait des gens qui aimaient se mettre en scène. J’ai essayé de reproduire cela avec mon entourage, et c’était amusant, car tout le monde jouait le jeu. Je crois que c’était une sorte de passe-temps pour moi, mais je le faisais très sérieusement », révèle-t-elle. Aujourd’hui, Anne-Laure Étienne papillonne encore et toujours dans ce terrain foulé dans l’enfance, et jongle au quotidien entre sa casquette de photographe, de réalisatrice, de styliste et de scénographe spécialisée dans la musique.
Sensible et légère, l’approche qu’elle développe au fil du temps s’affine, et parvient à mettre en évidence les sonorités, les couleurs, les rythmes, les ambiances et le langage propres au 8e art. C’est sans aucune doute pour la singularité de cette écriture photographique que les choses s’accordent pour elle avec un naturel troublant – de sorte que la plupart du temps, les artistes viennent à elle, et qu’elle n’a presque pas besoin, hormis pour des structures culturelles ou des labels, de démarcher. À l’origine de compositions pop et colorées, fixées dans un décor épuré, Anne-Laure Étienne ne fait place qu’à l’essentiel, et sait rendre saillante l’identité visuelle des musicien·nes qu’elle fréquente – qu’elle sculpte et remodèle au gré des shooting. Chacun de ses clichés trouve sa source dans une tentative de mettre en image les différentes facettes de nos comportements humains, à la fois physiques et psychiques, et l’influence que l’un peut avoir sur l’autre. « J’aime mettre en relief cette interdépendance entre le corps et l’esprit, matérialiser par la photographie certains thèmes qui me tiennent à cœur : le chagrin, les contrecoups, l’abandon, les contestations, les chutes, les efforts, mais aussi la réjouissance, la résistance, le courage, le bonheur, le désir, la ténacité, la volonté et la guérison », détaille-t-elle.
Des scènes d’évasion
L’artiste, qui est revenue à son Ardèche natale, plante les scènes qu’elle rêve dans des espaces où la nature, sauvage mais clémente, s’étend à perte de vue. Où nature et culture ne sont plus en lutte, mais s’entrelacent, à l’image d’un autoportrait d’elle, blottie dans les herbes hautes et affublée d’une robe mauve fastueuse. Dans son univers, le corps influence l’environnement, et inversément, la faune et la flore libèrent l’être humain. Nourris d’une lumière naturelle, quelques-uns de ses polaroïds et certaines de ses photos numériques sont devenus des pochettes d’album. D’autres, des photos promotionnelles. Ses mises en scène tranchent avec les standards de l’industrie culturelle dominante : des individus à l’humble force créatrice tentent de trouver leur petit coin de paradis au sein d’une nature puissante et imposante. Si cette esthétique entre en contraste avec ce qui se fait en majorité, c’est même doublement, puisque ces projets réclament une denrée devenue rare à notre époque : le temps de tisser des relations authentiques.
L’heureux mariage du style et de la composition
Anne-Laure Étienne défend un art de la fantaisie et une photographie « sans raison » ni frein, bousculant les codes, et dans lesquels nulle justification n’est nécessaire. Souvent inspirée par la liberté et l’audace vestimentaires des années 1980, elle atteint une sorte « de beauté étrange, née d’un contraste entre le sujet et son décor », qu’elle revendique expressément. « Le vêtement tient une place de choix dans mes images, il est comme une seconde peau, une chrysalide, raconte-t-elle. Il y est toujours mis en relation avec le corps, et je tente d’en dévoiler les multiples fonctions : il voile, il protège, préserve et abrite, mais dans mes photographies il peut également contraindre, asphyxier ou entraver. » Passionnée de couture et de tissus, Anne-Laure Étienne a rassemblé avec le temps plus de trois mille pièces chinées en friperie, afin de se constituer une garde-robe qu’elle emploie continuellement au service de ses mises en scène. Et puis, progressivement, l’idée mûrit en elle de se fabriquer elle-même ses propres costumes, afin d’approfondir son exploration. « Je travaille sur des costumes en tulle XXL, je les imagine comme des sculptures, déclare-t-elle. Ils sont l’extension logique de ma recherche et ils sont au carrefour de multiples utilisations – photos, clips, etc. » Frànçois Atlas se trouve habillé des images et des créations de l’artiste, et arbore ainsi dans le clip REVOIR LA MER une chemise volante au col fraise, couché près des vagues, sur le sable fin. Un autre ensemble d’images laisse découvrir Cindy Pooch arborant des costumes en couverture de survie ; un autre encore, la nappe de nuages qui enveloppe un mystérieux modèle. Soit autant de visions enchanteresses déployées par une autrice inspirée.