David Shortland et Olha Lobazova, nos coups de cœur #469, utilisent leur boîtier pour figer leurs observations du monde. Le premier s’aventure dans les méandres des rues tandis que la seconde se tourne vers l’intimité du foyer pour cristalliser le quotidien de ses jeunes frères, hantés par la guerre en Ukraine.
David Shortland
Originaire d’Irlande et installé à Londres depuis plusieurs années, David Shortland s’essaye au médium récemment, en 2021, pendant le confinement. « J’ai toujours été intéressé par les arts visuels et j’ai étudié le cinéma à l’université, mais je n’avais jamais vraiment appris les bases de la photographie. Une fois que j’ai eu le courage de sortir et de photographier les rues, c’est rapidement devenu une obsession », se remémore l’artiste autodidacte. Au fil de pérégrinations, il exerce son œil et saisit des univers urbains où les ombres s’entrechoquent à la lumière. Les protagonistes de ses clichés, dépourvus de visages, semblent jouer des rôles bien définis, telle une pièce de théâtre. Et pourtant, les scènes capturées par David Shortland résultent uniquement d’une observation minutieuse de son environnement. « Je ne sors pas avec un projet spécifique en tête, surtout parce que je suis déjà assez angoissé à l’idée de ne rien trouver à immortaliser ! J’aime rester naturel et me promener sans avoir d’itinéraire », précise-t-il. De nature anxieuse et introspective, l’artiste découvre dans sa pratique un moyen de canaliser ses états d’âme. Photographier devient alors un acte thérapeutique lui permettant d’accroître sa confiance en lui et de mieux se comprendre. « J’apprécie la photographie qui résonne avec des choses un peu plus sombres ou irrésolues en moi, ou qui reflète la manière dont la société nous affecte mentalement et socialement », déclare-t-il avant de conclure : « J’aime la façon dont Saul Leiter rend anonymes un grand nombre de ses sujets dans des compositions surréalistes et abstraites, la manière dont Todd Hido voit les choses du point de vue d’un étranger isolé ou celle dont les sujets de Fan Ho sont comme des détails insignifiants dans des décors écrasants. J’espère que mes images expriment des thèmes similaires : l’isolement, l’aliénation et la fragmentation. »
Olha Lobazova
Mère d’un enfant en bas âge, Olha Lobazova a orienté sa pratique autour de la maternité et de la perception que les tout·e-petit·es ont du monde qui les entoure. C’est après que sa famille, dont son frère alors âgé de 4 ans, s’est installée à Berlin, où elle réside désormais, qu’elle a eu l’idée de composer KidA. « Mes proches ont passé plusieurs jours dans le sous-sol de Kharkiv, à se cacher des explosions. Il leur a fallu plus d’une semaine pour arriver en Allemagne. Même s’il était en sécurité, Mykhailo, le plus jeune, pleurait et criait constamment, se souvient-elle. À présent, il parle, mais ici, personne ne comprend sa langue. Il en va de même pour mon autre frère. Leur chambre est remplie de mythes effrayants. C’est le seul moyen qu’ils ont trouvé pour exprimer leurs peurs et leurs angoisses. Ces enfants savent que les monstres ne vivent pas sous leur lit. » Pour réaliser sa série, la photographe ukrainienne a ainsi documenté leur quotidien, en essayant de saisir les non-dits, qui se révèlent par bribes. « À un moment donné, je me suis rendu compte que le langage visuel pouvait être un outil de réflexion sur le subconscient. Si l’on ne peut parler que des choses qui ont un nom, on tombe dans cette limitation et beaucoup de sujets restent inexprimés », conclut-elle.