C’est un monde sublime et violent, enchanté et tragique, énigmatique et d’une évidence terrible. Avec Les Éternels Éphémères, la photographe Maewenn Bourcelot nous livre un conte doux-amer qui parle de son passé et de notre avenir. Cet article, signé Carole Coen, est à retrouver dans notre dernier numéro.
Pour ce projet de fin d’études sous forme de livre et d’exposition, présenté à l’École cantonale d’art de Lausanne (ECAL) en 2020, la jeune femme s’est tournée vers ce qui la fascine depuis l’enfance : les vies minuscules, mais indispensables, des abeilles, dont elle dénonce ici la disparition. « Mon grand- père faisait de l’apiculture dans ma région natale, la Bretagne. Il avait six ou sept ruches. Les abeilles, je les connais depuis toute petite, et je les ai toujours trouvées magnifiques. C’est de l’ordre de la sensation : les voir butiner de fleur en fleur me donne un sentiment de sublime, d’harmonie. Et en même temps, je voyais des hécatombes sous les ruches », raconte la jeune femme.
Beauté empoisonnée
Entre un émerveillement intact depuis l’enfance et une angoisse face à l’effondrement qui menace, la série oscille. Montrées dans leur infinie délicatesse, les abeilles apparaissent tantôt comme des bijoux saupoudrés d’or – le pollen – ou sertis de pierres précieuses – un reflet sur une aile –, tantôt comme de petits débris de fleurs séchées gisant au sol, inertes. Les couleurs chaudes, presque saturées, confèrent aux images une dimension irréelle et transforment corolles, calices et autres étamines en enveloppes et réceptacles charnels. « Je n’ai pas une démarche documentaire, commente la photographe. À propos de cette série, je parle plutôt de poème ou d’essai photographique. Mon approche a toujours été de partir du réel et de le rendre atmosphérique. Pour ce sujet, j’ai mené une vraie enquête auprès d’apiculteurs, j’ai passé du temps avec des scientifiques, mais mon traitement, notamment de la couleur, reflète cette dichotomie entre le sublime et le repoussant, comme une beauté empoisonnée. »
Outre la colorisation, Maewenn Bourcelot a eu recours aux jeux d’échelle pour exprimer son propos. « J’ai employé des techniques comme le microscan [une forme de microscopie électronique capable de produire des images en haute résolution de la surface d’un échantillon, ndlr], qui n’est pas directement de la photographie, explique-t-elle. J’aime produire des images un peu graphiques, m’approcher des détails, peut-être plus encore dans ce projet, pour à la fois “monumentaliser” mes sujets et susciter un sentiment de confinement, d’enfermement. Ce qui m’a toujours gênée, c’est la manière dont l’homme utilise la nature comme une réserve de moyens et non comme une altérité, poursuit-elle. C’est cette domination que j’ai cherché à rendre. »
Aujourd’hui, après avoir été directrice artistique, Maewenn Bourcelot, installée entre Paris et Berlin, vient de fonder un studio de création. Elle ne renonce pas pour autant à ses projets personnels en photographie, et réfléchit à prolonger Les Éternels Éphémères en en creusant l’aspect idéologique. « À la fin du livre se dessinent deux approches pour traiter ce tragique déclin : la piste naturelle, pour tenter de comprendre les subtilités des mécanismes de l’écosystème et essayer de le recréer, et la piste technologique, qui va pouvoir apporter des solutions. À l’École polytechnique de Lausanne, qui a un pôle scientifique assez fort, des chercheur·ses ont étudié les essaims d’abeilles pour modéliser leur comportement et leur manière de communiquer entre elles, afin de créer des robots capables d’infiltrer les essaims et de leur donner des directives », expose la photographe. En attendant, elle a commencé un nouveau projet avec son élevage de sept mantes religieuses. « Je les ai achetées à une période particulière de ma vie, où j’étais célibataire et où je me posais des questions sur ma féminité. Leur indépendance, leur puissance et leur vulnérabilité servent de miroir à mon propre cheminement introspectif en tant que femme, dans cette dualité entre force et fragilité. J’ai commencé à les photographier et à les étudier de très près. Ce sont toutes des femelles, et je compte y ajouter un mâle… mais je ne suis pas encore prête ! », conclut-elle, amusée.