Looking at my brother : mes frères, l’appareil et moi

09 juillet 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Looking at my brother : mes frères, l’appareil et moi
© Julian Slagman
© Julian Slagman
© Julian Slagman

Projet au long cours, Looking at My Brother déroule un récit intime faisant éclater la chronologie. Une lettre d’amour visuelle de Julian Slagman à ses frères, qu’il regarde grandir et dont il ne cesse de capturer l’évolution.

« En allemand, il existe un mot qui désigne le fait de comprendre le monde qui nous entoure en le touchant : Begreifen – il signifie saisir tout ce qui n’est pas soi. » Saisir, non pas pour donner du sens à des notions abstraites, mais plutôt pour se comprendre. Saisir les corps, les toucher du regard, les ancrer dans un environnement, une histoire, un souvenir – dans une réalité partagée. C’est ainsi que Julian Slagman capture ses petits frères. Avec un rapport aux sens visible, comme une invitation à s’approcher, à effleurer, par-delà les pages d’un livre. Dans Looking at My Brother, il compose un album familial à la chronologie déconstruite, où les visages d’enfants côtoient les expressions adolescentes, la maturité en évolution.

Diplômé de l’Académie des arts de Hambourg et de l’École de design et d’artisanat de Göteborg, l’artiste a développé très jeune un intérêt pour le médium photographique. « En étudiant les images de mes grands-parents, photographes, j’ai commencé à percevoir la relation entre amour et vue. Toustes deux se photographient l’un·e l’autre, leurs boîtiers devenus des membres de la famille. Me retrouvant moi-même dans ces clichés, j’ai réalisé qu’iels conditionnaient ma lecture du 8e art comme un acte physique d’amour », explique-t-il. Lorsque sa mère se remarie, après son divorce, Julian Slagman passe d’enfant unique à aîné d’une fratrie. Un changement qu’il parvient à accepter grâce à son appareil photo. « Ce dernier m’a appris à être un frère, reconnaît-il. Je l’ai utilisé pour définir et questionner ma relation à eux, mes émotions, mes attentes et mon émerveillement. En me plongeant dans ces premières photos, aujourd’hui, je vois trois enfants qui grandissent, à la fois en tant qu’individus et membres d’une même famille. »

© Julian Slagman
© Julian Slagman
© Julian Slagman
© Julian Slagman

Une archive de nos propres instants

Ainsi, pendant dix ans, Julian tourne son objectif vers Mats et Jonah, dans une valse savamment menée, un témoignage d’une confiance tacite, d’un amour intact. Alors que le temps passe, l’appareil photo s’oublie, s’efface au profit de la complicité, tandis que les frères apprennent à ignorer l’implication de sa présence. Jouant avec la temporalité, l’artiste imagine des sauts à travers les époques, croise les réunions heureuses, les bonheurs simples comme les représentations – plus brutes – des cicatrices dans le dos de Mats, séquelles d’une chirurgie de la scoliose. Alternant couleurs et monochromes, flashs et lumières naturelles, gros plans et scènes en pleine nature, Looking at my brother nous désoriente et déconstruit nos attentes pour mieux recomposer un récit dont Julian Slagman se revendique l’auteur. Un récit convoquant la matérialité – dans l’omniprésence des corps, de la peau nue, des blessures qui mettent du temps à guérir. Un clin d’œil à une manière enfantine de découvrir le monde. « Lorsqu’on est jeune, on voit avec nos mains. On croise nos bras sous un pyjama pour en éprouver l’élasticité. La photographie est d’ailleurs, elle aussi, manuelle : ce sont mes mains qui maintiennent l’appareil, mon index qui appuie sur l’obturateur. D’une certaine manière, je me familiarise avec les choses grâce à la photo. Une cicatrice, par exemple, est une manifestation concrète d’un événement passé qui se poursuit dans le présent. Elle partage quelque chose avec le 8e art : sa capacité à témoigner de l’expérience humaine », explique-t-il.

Se clôturant par un texte rédigé par une amie du photographe, l’ouvrage propose une immersion dans l’histoire d’une famille – une histoire universelle aux fragments singuliers. Nous rappelant à nos souvenirs, nos habitudes d’enfance, les mots et les images s’inscrivent dans un imaginaire collectif qui nous happe, ravivent une mémoire oubliée comme pour nous pousser à recomposer, grâce à l’évocation pure, une archive de nos propres instants. Car, avec brio, Julian Slagman parvient à faire coïncider intimité extrême et étrange familiarité. Une faculté sans doute acquise dès ses premières ébauches, alors qu’enfant, il découvrait le médium par le regard de ses grands-parents. « La connexion intime qu’ils ont trouvée grâce à la photographie est peut-être ce qui m’a poussé à regarder mes frères de la même manière », conclut-il.

© Julian Slagman

© Julian Slagman

© Julian Slagman

© Julian Slagman
© Julian Slagman

© Julian Slagman

© Julian Slagman

© Julian Slagman

© Julian Slagman
À lire aussi
Focus #9 : Lucie Hodiesne Darras dépeint le quotidien de son frère autiste
Focus #9 : Lucie Hodiesne Darras dépeint le quotidien de son frère autiste
Découvrez le neuvième épisode de Focus, notre nouveau rendez-vous hebdomadaire ! À la croisée de la vidéo et du podcast, ce format…
27 avril 2022   •  
Écrit par Apolline Coëffet
La reconnexion des êtres par Ashley Markle
La reconnexion des êtres par Ashley Markle
Durant le confinement, Ashley Markle avait partagé le quotidien de sa mère et de son beau-père, créant – pour tromper l’ennui – une série…
02 novembre 2022   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Barbara Marstrand ouvre les portes de mondes en construction
© Barbara Marstrand
Barbara Marstrand ouvre les portes de mondes en construction
Dans Still Life of Teenagers, Barbara Marstrand dresse le portrait de l’adolescence danoise à travers les chambres qu’elle habite….
08 novembre 2023   •  
Écrit par Ana Corderot
Diskobay
120 pages
38 €
Explorez
Fisheye #73 : vivre d'Amour et d'images
© Jenny Bewer
Fisheye #73 : vivre d'Amour et d’images
Dans son numéro #73, Fisheye sonde les représentations photographiques de l’amour à l’heure de la marchandisation de l’intime. À...
05 septembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
RongRong & inri : « L'appareil photo offre un regard objectif sur le sentiment amoureux »
Personal Letters, Beijing 2000 No.1 © RongRong & inri
RongRong & inri : « L’appareil photo offre un regard objectif sur le sentiment amoureux »
Le couple d’artiste sino‑japonais RongRong & inri, fondateur du centre d’art photographique Three Shadows, ouvert en 2007 à Beijing...
04 septembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Dans l’œil de Valentine de Villemeur : un réfrigérateur révélateur
© Valentine de Villemeur
Dans l’œil de Valentine de Villemeur : un réfrigérateur révélateur
Cette semaine, nous vous plongeons dans l’œil de Valentine de Villemeur. La photographe a consigné le parcours de sa procréation...
01 septembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Yu Hsuan Chang : des femmes et des montagnes
G-Book © Yu Hsuan Chang
Yu Hsuan Chang : des femmes et des montagnes
Dans des collectes effrénées d’images, la photographe taïwanaise Yu Hsuan Chang transcrit autant la beauté de son pays que la puissance...
25 août 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Prix Viviane Esders : éclairer des trajectoires photographiques
© Bohdan Holomíček
Prix Viviane Esders : éclairer des trajectoires photographiques
Créé en 2022, le Prix Viviane Esders rend hommage à des carrières photographiques européennes souvent restées dans l’ombre. Pour sa...
Il y a 3 heures   •  
Écrit par Costanza Spina
Sandra Calligaro : à Visa pour l'image, les Afghanes sortent de l'ombre
Fahima (17 ans) révise dans le salon familial. Elle suit un cursus accessible en ligne sur son smartphone. Kaboul, Afghanistan, 24 janvier 2025. © Sandra Calligaro / item Lauréate 2024 du Prix Françoise Demulder
Sandra Calligaro : à Visa pour l’image, les Afghanes sortent de l’ombre
Pour la 37e édition du festival Visa pour l’Image à Perpignan qui se tient jusqu’au 14 septembre 2025, la photojournaliste Sandra...
05 septembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Fisheye #73 : vivre d'Amour et d'images
© Jenny Bewer
Fisheye #73 : vivre d'Amour et d’images
Dans son numéro #73, Fisheye sonde les représentations photographiques de l’amour à l’heure de la marchandisation de l’intime. À...
05 septembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nicole Tung, ultime lauréate du Prix Carmignac !
Diverses espèces de requins, dont certaines sont menacées d'extinction, tandis que d'autres sont classées comme vulnérables, ont été ramenées à terre à l'aube par des pêcheurs commerciaux au port de Tanjung Luar, le lundi 9 juin 2025, à Lombok Est, en Indonésie. Tanjung Luar est l'un des plus grands marchés de requins en Indonésie et en Asie du Sud-Est, d'où les ailerons de requins sont exportés vers d'autres marchés asiatiques, principalement Hong Kong et la Chine, où les os sont utilisés dans des produits cosmétiques également vendus en Chine. La viande et la peau de requin sont consommées localement comme une importante source de protéines. Ces dernières années, face aux vives critiques suscitées par l'industrie non réglementée de la pêche au requin, le gouvernement indonésien a cherché à mettre en place des contrôles plus stricts sur la chasse commerciale des requins afin de trouver un équilibre entre les besoins des pêcheurs et la nécessité de protéger les populations de requins en déclin © Nicole Tung pour la Fondation Carmignac.
Nicole Tung, ultime lauréate du Prix Carmignac !
La lauréate de la 15e édition du Prix Carmignac vient d’être révélée : il s’agit de la photojournaliste Nicole Tung. Pendant neuf mois...
04 septembre 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot