Dans I love you. Neither do I., la photographe originaire d’Argentine Lucía Morón illustre sa frustration amoureuse à travers des images d’archives de mariage de sa famille et des autoportraits. Un récit créatif et sarcastique sur l’union sacrée entre deux âmes, pour le meilleur et pour le pire…
« Je promets de te rester fidèle, dans le bonheur et dans les épreuves, dans la santé et dans la maladie, et de t’aimer tous les jours de ma vie ». Si le célèbre serment prononcé par les futur·es époux·ses devant l’autel fait rêver les plus romantiques d’entre nous, il provoque également de grandes sueurs froides chez de nombreuses personnes. Peur de l’engagement, à la quête de l’âme sœur ou encore déception amoureuse, les raisons de cette angoisse du mariage se multiplient au fil des générations. Pour Lucía Morón, tout commence il y a dix années de cela, lorsqu’elle décide de mettre fin à sa relation avec Alejandro, le jour même de la mort de sa grand-mère. Dans un désir de distraction et de rencontrer de nouvelles personnes, l’artiste visuelle, également architecte et professeure, s’inscrit à un cours de photographie et c’est le coup de foudre. « J’ai réalisé qu’il s’agissait plus qu’un passe-temps ou un divertissement. Le médium a changé ma vie à bien des égards. Il m’a donné de nombreuses clés pour surmonter des situations difficiles », déclare la photographe née à Buenos Aires et désormais installée à Barcelone dans le cadre d’une bourse d’études dédiée au 8e art.
En 2020, l’artiste argentine accompagne sa mère pour vider la maison de sa grand-mère. « J’ai décidé de garder deux choses : une photo d’elle petite fille tenant un fusil, et sa robe de mariée avec laquelle j’étais censée me marier. Je me suis souvenue que depuis son décès et ma rupture avec Alejandro, je n’étais plus jamais tombée amoureuse », se remémore-t-elle. Comme elle le fait habituellement avec toutes ses préoccupations, Lucía Morón décide de créer I love you. Neither do I., (Je t’aime. Moi non plus. en français, ndlr), un projet visuel illustrant sa frustration amoureuse. Images d’archives, collages ou encore autoportraits, la photographe entremêle différentes techniques. « J’ai besoin de jouer, de mélanger, de manipuler les matériaux. Je ne peux pas m’en tenir à une seule discipline, cela me donnerait une sorte de claustrophobie artistique », explique l’artiste pluridisciplinaire.
Combats intérieurs et émotions universelles
Avant de composer I love you. Neither do I., Lucía Morón n’avait jamais travaillé avec des archives. Elle décide de fouiller dans celles de sa famille pour comprendre d’où vient son blocage à propos de l’amour et déniche des scènes qui représentent exactement ce dont elle voulait parler. « Je n’ai pas eu besoin de créer de nouvelles images, car tout était déjà là. Au début, je les ai encadrées mentalement, puis j’ai commencé à le faire manuellement en utilisant la technique du collage », précise-t-elle. Afin de questionner nos relations amoureuses, mais également familiales, l’artiste visuelle marie, à travers ses créations, ses parents à d’autres personnes de son entourage. Elle confie à ce sujet : « J’ai l’impression que nous sommes parfois plus marié·es à notre propre famille ou à celle de notre partenaire qu’à notre petit.e ami.e. »
Afin d’offrir à son récit un écho universel, la photographe n’hésite pas à se mettre en scène par le prisme d’autoportraits qui l’aident à se connecter à elle-même et à atteindre une certaine paix intérieure. Ce cliché où elle apparait le visage surexposé par la lumière du soleil a notamment une résonance toute particulière pour Lucía Morón. Il a été pris le jour où elle a porté la robe de sa grand-mère pour la première fois, alors qu’elle se trouvait dans une maison abandonnée avec une amie. « Il y avait des morceaux d’un miroir cassé sur le sol et j’en ai pris un pour refléter le soleil sur mon visage. Cette photo résume bien le projet : la robe avec laquelle j’étais censée me marier, un lieu au parfum antique et un miroir qui, au lieu de me refléter, efface mon visage. Comme si je ne pouvais pas me reconnaître », témoigne-t-elle. Bien qu’on puisse penser que l’artiste déteste le mariage, elle tient à notifier qu’elle a « juste besoin de le remettre en question après avoir lu sur son histoire et sa création qui n’a pas grand-chose à voir avec l’amour ». Véritable désir d’union ou terrible héritage qui nous hante ? Rêve ou cauchemar ? La vision de Lucía Morón dresse un portrait à la fois tendre et moqueur de cette célébration qui ne cessera certainement jamais d’unir et de diviser…