Jusqu’au 25 janvier 2025, le Centre Claude Cahun accueille une exposition de Matthieu Gafsou, Est-ce ainsi que les hommes vivent ? qui met côte à côte deux séries de l’artiste. Chacune d’entre elles illustre notre rapport transhumaniste à la nature, relate les histoires de corps sans y mettre de filtres et nous oblige à réinventer notre place dans le vivant.
Matthieu Gafsou est un lanceur d’alerte. Son engagement pour l’environnement va de pair avec son travail de photographe. Inspiré notamment par les théories de l’effondrement, l’artiste suisse s’est d’abord intéressé à l’avenir de l’humanité dans sa série Vivants, un projet au long cours que nous suivons depuis quelques années. En 2022, il a été lauréat du Prix Maison Ruinart grâce à son œuvre autour du transhumanisme et la perte de lien à la nature, Cette constante brûlure de l’air. Dans Only God Can Judge Me il pose son objectif sur le corps humain.
À travers son texte sur la photographie, l’essayiste étasunienne Susan Sontag, rappelle que « la façon dont l’appareil photo rend la réalité dissimule toujours plus qu’elle ne montre. » Dans cette série, Matthieu Gafsou essaie donc de s’ancrer dans le réel, sans sublimer inutilement des corps porteurs d’histoires. Il compose des portraits forts de personnes faisant usage de drogues. Par ces clichés frontaux, il cherche notre réaction et nous met au défi de dépasser le jugement phobique et moraliste. Pour Est-ce ainsi que les hommes vivent ? Le Centre Claude Cahun a choisi de mêler ces deux séries dans une exposition crépusculaire. Le photographe nous confronte à des faces émaciées, enfantines, déracinées, révoltées, fières, qui disent un monde en déclin et interrogent notre place dans le vivant. Qu’est-ce qu’on peut donner à voir à travers un corps ? Qu’est-ce qu’on peut montrer ? Pourquoi s’arrêter sur le corps de l’autre ? Où se placer par rapport au corps de l’autre ?
Un sentiment d’étrangeté inquiétant
Pour comprendre une image, il nous faut souvent faire un pas de côté. En effet, la photographie s’inscrit dans le temps du récit, un temps long, un temps de confrontation. Elle évoque autant le sujet représenté que le sujet qui représente : cet effort de distanciation est alors encore plus important. C’est cet espace que Matthieu Gafsou recherche activement dans ses séries. À travers des pratiques plurielles, allant du documentaire à des interventions dans le paysage en passant par une approche plus plasticienne (manipulation physique des tirages avec du pétrole brut), l’artiste explore la dégradation du monde et la place que l’humain y occupe. Ceci donne lieu à un sentiment d’inquiétante étrangeté dans ces compositions. Une sensation venant d’une impression de familiarité : c’est seulement si l’on se reconnaît dans quelque chose que l’on peut être déplacé·e, mis mal à l’aise et percuté·e par un message. Dans ces paysages chamboulés et ses portraits écorchés, le photographe cherche ainsi à véhiculer une angoisse face à un élément familier mais pas complètement compréhensible. Ce qui nous hante part, selon lui, toujours du quotidien. Par ces images, il nous force donc à regarder sans équivoque ce que, par confort, nous voulons garder hors-champ.