Matthieu Gafsou au Centre Claude Cahun : le corps humain face au vivant

23 octobre 2024   •  
Écrit par Costanza Spina
Matthieu Gafsou au Centre Claude Cahun : le corps humain face au vivant
© Matthieu Gafsou
© Matthieu Gafsou
© Matthieu Gafsou

Jusqu’au 25 janvier 2025, le Centre Claude Cahun accueille une exposition de Matthieu Gafsou, Est-ce ainsi que les hommes vivent ? qui met côte à côte deux séries de l’artiste. Chacune d’entre elles illustre notre rapport transhumaniste à la nature, relate les histoires de corps sans y mettre de filtres et nous oblige à réinventer notre place dans le vivant.

Matthieu Gafsou est un lanceur d’alerte. Son engagement pour l’environnement va de pair avec son travail de photographe. Inspiré notamment par les théories de l’effondrement, l’artiste suisse s’est d’abord intéressé à l’avenir de l’humanité dans sa série Vivants, un projet au long cours que nous suivons depuis quelques années. En 2022, il a été lauréat du Prix Maison Ruinart grâce à son œuvre autour du transhumanisme et la perte de lien à la nature, Cette constante brûlure de l’air. Dans Only God Can Judge Me il pose son objectif sur le corps humain.

À travers son texte sur la photographie, l’essayiste étasunienne Susan Sontag, rappelle que « la façon dont l’appareil photo rend la réalité dissimule toujours plus qu’elle ne montre. » Dans cette série, Matthieu Gafsou essaie donc de s’ancrer dans le réel, sans sublimer inutilement des corps porteurs d’histoires. Il compose des portraits forts de personnes faisant usage de drogues. Par ces clichés frontaux, il cherche notre réaction et nous met au défi de dépasser le jugement phobique et moraliste. Pour Est-ce ainsi que les hommes vivent ? Le Centre Claude Cahun a choisi de mêler ces deux séries dans une exposition crépusculaire. Le photographe nous confronte à des faces émaciées, enfantines, déracinées, révoltées, fières, qui disent un monde en déclin et interrogent notre place dans le vivant. Qu’est-ce qu’on peut donner à voir à travers un corps ? Qu’est-ce qu’on peut montrer ? Pourquoi s’arrêter sur le corps de l’autre ? Où se placer par rapport au corps de l’autre ?

Un sentiment d’étrangeté inquiétant

Pour comprendre une image, il nous faut souvent faire un pas de côté. En effet, la photographie s’inscrit dans le temps du récit, un temps long, un temps de confrontation. Elle évoque autant le sujet représenté que le sujet qui représente : cet effort de distanciation est alors encore plus important. C’est cet espace que Matthieu Gafsou recherche activement dans ses séries. À travers des pratiques plurielles, allant du documentaire à des interventions dans le paysage en passant par une approche plus plasticienne (manipulation physique des tirages avec du pétrole brut), l’artiste explore la dégradation du monde et la place que l’humain y occupe. Ceci donne lieu à un sentiment d’inquiétante étrangeté dans ces compositions. Une sensation venant d’une impression de familiarité : c’est seulement si l’on se reconnaît dans quelque chose que l’on peut être déplacé·e, mis mal à l’aise et percuté·e par un message. Dans ces paysages chamboulés et ses portraits écorchés, le photographe cherche ainsi à véhiculer une angoisse face à un élément familier mais pas complètement compréhensible. Ce qui nous hante part, selon lui, toujours du quotidien. Par ces images, il nous force donc à regarder sans équivoque ce que, par confort, nous voulons garder hors-champ.

© Matthieu Gafsou
À lire aussi
Focus #18 : Matthieu Gafsou et les nuances du vivant face à l’effondrement
Focus #18 : Matthieu Gafsou et les nuances du vivant face à l’effondrement
Le mercredi, avec Focus, nous donnons la parole à vos photographes préféré·e·s ! Dans cet épisode, Matthieu Gafsou revient sur Vivants…
29 juin 2022   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Prix Maison Ruinart : Matthieu Gafsou et son engagement récompensés
Prix Maison Ruinart : Matthieu Gafsou et son engagement récompensés
Lauréat du Prix Maison Ruinart, Matthieu Gafsou exposera, durant le 25e anniversaire de Paris Photo sa série Cette constante brûlure de…
16 septembre 2022   •  
Écrit par Lou Tsatsas

Explorez
Que reste-t-il après le feu ? : des images, des voix, des actifs
Tour immersive en forêt © Alexandre Dupeyron
Que reste-t-il après le feu ? : des images, des voix, des actifs
À l’Écomusée de Marquèze, jusqu’au 28 septembre 2025, l’exposition 600° La forêt après le feu du collectif LesAssociés, pose une...
19 juin 2025   •  
Écrit par Fabrice Laroche
Hendrik Paul : un besoin de nuit
© Hendrik Paul, Dark Light
Hendrik Paul : un besoin de nuit
Avec Dark Light, Hendrik Paul signe un livre de photographie argentique en noir et blanc, publié chez Datz Press, qui explore la nuit, le...
17 juin 2025   •  
Écrit par Milena III
Hommage à Sebastião Salgado, humaniste soucieux de la nature
© Fisheye Magazine
Hommage à Sebastião Salgado, humaniste soucieux de la nature
Sebastião Salgado est décédé ce vendredi 23 mai 2025 à l’âge de 81 ans. Tout au long de sa carrière, le photographe a posé un regard...
26 mai 2025   •  
Écrit par Eric Karsenty
Dans l’œil d’Aletheia Casey : le rouge de la colère et du feu
© Aletheia Casey
Dans l’œil d’Aletheia Casey : le rouge de la colère et du feu
Cette semaine, nous vous plongeons dans l’œil d’Aletheia Casey, dont nous vous avons déjà parlé il y a quelques mois. Pour Fisheye, elle...
28 avril 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Que reste-t-il après le feu ? : des images, des voix, des actifs
Tour immersive en forêt © Alexandre Dupeyron
Que reste-t-il après le feu ? : des images, des voix, des actifs
À l’Écomusée de Marquèze, jusqu’au 28 septembre 2025, l’exposition 600° La forêt après le feu du collectif LesAssociés, pose une...
19 juin 2025   •  
Écrit par Fabrice Laroche
Archevêché by Fisheye : une 2e édition haute en couleur
© Marie Meister
Archevêché by Fisheye : une 2e édition haute en couleur
Du 7 au 12 juillet 2025, Fisheye investit la cour de l’Archevêché, lieu de rendez-vous incontournable du ()ff des Rencontres d’Arles, au...
19 juin 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Bouche : l'épiderme selon Lucile Boiron
Bouche © Lucile Boiron
Bouche : l’épiderme selon Lucile Boiron
Avec sa série Bouche, Lucile Boiron, formée à l'École nationale supérieure Louis-Lumière, s'intéresse de près à la peau, aux fluides et...
19 juin 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Raymond Depardon, l’éloge du passage
© Raymond Depardon
Raymond Depardon, l’éloge du passage
La Galerie Magnum présente Raymond Depardon : Passages, une rétrospective visible jusqu'au 26 juillet 2025. À travers une...
18 juin 2025   •  
Écrit par Costanza Spina