Du 14 septembre au 28 octobre, la galerie Les Filles du Calvaire à Paris accueille Les Choses qui restent, une exposition de Maya Inès Touam. L’artiste franco-algérienne partage une vision personnelle de l’histoire de l’art occidental et aborde la complexité de son héritage, tiraillé entre deux cultures. Par ses compositions, elle donne vie à un nouveau vocabulaire visuel, enfant des diasporas.
Maya Inès Touam renverse tous les codes. L’artiste et photographe franco-algérienne a donné vie à un univers narratif foisonnant en s’appropriant joyeusement des symboles de l’art occidental. Formée en France, elle exprime toute la complexité de son vécu d’enfant d’immigré·es, qui traduit une vie entre-deux rives de la Méditerranée. L’interprétation qu’elle propose de l’art occidental nous confronte à une relecture de notre histoire par le regard de celles et ceux à qui la colonisation l’a imposée comme un récit universel. Avec l’exposition Les Choses qui restent aux Filles du Calvaire à Paris, l’artiste nous plonge dans son langage, allant de l’iconographie religieuse aux expérimentations colorées du fauvisme — en renversant les codes du sacré à la faveur du profane. Si on voulait résumer la démarche de cette artiste iconoclaste, elle se situe à la croisée entre la peinture et la photographie et fait dialoguer ces deux médiums en façonnant des tableaux aux mises en scène précises. Grâce à des habiles compositions de couleurs et de textures, elle invente un folklore composite, qui détourne l’histoire de l’art et en fait un jeu de représentations. Une quête d’identité qui est un subtil mélange d’ironie et de recherche mythologique personnelle : « Une esthétique de la co-présence, une co-existence des cultures » comme l’écrit l’historienne Taous Damani.
L’histoire de l’art détournée par les diasporas
Dans sa démarche, Maya Inès Touam ne demande la permission de personne. Elle emprunte sans peur les traditions de l’art académique, celui qui envahit les livres d’histoire au détriment de récits silenciés, et les détourne. Il en résulte une vision nouvelle de l’héritage européanocentré, réinterprété par les enfants des diasporas à l’aune de l’histoire coloniale et des souffrances du déracinement. L’œuvre d’Henri Matisse fait l’objet des expérimentations les plus audacieuses de l’artiste et photographe. Pour la série « Replica », elle se plonge dans l’œuvre du peintre, dessinateur et graveur français (1869-1954). Elle renverse les motifs : Ananas et joujou (2020) répond à Ananas et Anémones (1940) ; Icare, le revenant (2020) fait écho à Icarus (1943-47) et L’enfance, la mer (2020) évoque Polynésie, la mer (1946). Le continent africain s’invite chez Matisse comme « un hommage impertinent », selon les mots de Taous Damani. Pour Allégorie de la maternité (2022), l’inspiration est une lithographie en noir sur papier jaune d’Henri Matisse intitulée La Vierge à l’enfant (1948). Le motif religieux devient une manière de désacraliser l’expérience de la maternité. La madone flotte entre Caraïbes et métropole, en contribuant à une « créolisation des références ». « Les Choses qui restent propose une somme d’objets hantés par leurs valeurs culturelles et convoqués pour leur symbolisme, écrit Taous Damani. À travers ce qu’elle nomme son « fauvisme photographique », Touam propose un nouveau vocabulaire visuel, ludique et rhizomique ; une rencontre entre histoire, moment contemporain et imagination d’un futur sans centre ni périphéries. »