Enjeux sociétaux, troubles politiques, crise environnementale, représentation du genre… Les photographes publié·es sur Fisheye ne cessent de raconter, par le biais des images, les préoccupations de notre époque. À travers des prismes différents, des angles et des pratiques variés, toutes et tous se font les témoins d’une contemporanéité en constante évolution. Parmi les sujets abordés sur les pages de notre site comme dans celles de notre magazine se trouve l’amour. À l’occasion de la Saint-Valentin, les auteurices croisent les écritures comme les médiums pour révéler leurs sentiments, leurs émotions, leurs découvertes et leurs interrogations, et nous invitent ce faisant à nous immerger dans nos propres romances. Lumière, entre autres, sur Létizia Le Fur, Ward Long, Momo Okabe, Marc Martin, Julie De Sousa, Pixy Liao, Alice Khol et Vincent Muller.
Qu’est-ce qui se meut davantage dans l’âme, et émeut plus que l’amour ? Obéissant à sa logique propre, capable d’élever au plus haut comme de briser les rêves, il est peut-être la meilleure manière d’entrer au plus profond de soi-même, et d’échapper à toutes les certitudes. Phénomène que l’on peine à définir, subjectif par essence, l’amour interroge notamment le pouvoir de l’image lui-même, et de l’art en général.
Rendre hommage à l’être aimé
En mars 2022, la Maison Européenne de la Photographie (MEP) accueillait une grande exposition consacrée à l’intimité, dans sa plus grande radicalité. Conçue en référence aux compilations que s’offraient autrefois les amoureux, Love Songs questionnait avec brio l’objectivité du médium photo, en questionnant comment capturer de l’amour. Peut-on pas s’approprier l’image comme on le fait pour des morceaux de musique par exemple, afin d’exprimer nos sentiments et nos émotions ? De la maladie à la censure politique, du charnel au spirituel, de la libéralisation des mœurs à la passion brûlante, de la dépendance à la rupture, les photographies de René Groebli, Nan Goldin, Larry Clark ou encore Nobuyoshi Araki se côtoyaient alors pour nous immerger dans les paysages émotionnels de leurs auteurices.
Létizia Le Fur nous prend elle aussi par la main pour nous inviter à suivre avec elle la figure nue, fascinante d’un homme qui erre à travers une nature hypnotisante : une manière, sans doute, d’illustrer la découverte d’un monde effervescent encore inconnu. Car peut-être qu’à l’image de l’immensité de la nature, nous sommes, face à l’amour, comme cet être à la lisière du monde. La photographe donne ainsi une dimension mythologique à l’aventure humaine et amoureuse.
Summer Sublet est une histoire contée par Ward Long, la sienne, celle de sa rencontre et de son amitié sincère avec cinq jeunes femmes qui l’ont accueilli à bras ouverts. Avec une sensibilité extraordinaire, il représente à la fois sa vulnérabilité, son émerveillement et sa légèreté éprouvés dans leur colocation commune, où la liberté et la créativité étaient reines. Sa série, à découvrir dans un épisode Focus, apparaît comme le témoignage de l’évolution d’une relation, et un mot doux et urgent à ses amies.
Les envies de chacun·e
Momo Okabe capture les nombreuses nuances de l’amour autant qu’elle interroge notre rapport au charnel. Paru dans la collection Sub, Ilmatar est influencé par l’asexualité de son autrice, qui croise les histoires de plusieurs ami·es s’identifiant comme femmes, hommes et non binaires. Elle y repousse les frontières du tabou et de l’intime, et encapsule l’expérience de la nudité dans toutes ses dimensions – de la tendresse à la répulsion, jusqu’à la violence.
Marc Martin évoque au contraire une histoire érotique qui est comme une caresse dans un monde où les rêves d’amour ont si peu d’espace pour se déployer. Il choisit pour cela un couple malicieusement subversif, celui d’un CRS, en guerre avec son propre corps, et d’un·e chanteur·se non-binaire, à la silhouette féline.
Julie De Sousa, à sa manière, s’intéresse dans Nouvelles amours aux couples atypiques, aux relations plurielles. Du libertinage au polyamour, elle révèle la diversité de la relation possible à l’autre, et la prodigieuse capacité des un·es et des autres à s’inventer leurs propres règles. Une série en noir et blanc où la tendresse et les envies de chacun·e retrouvent toute leur liberté, en même temps qu’elle met en lumière les questionnements et les incertitudes d’une union.
Humour et visions décalées
Pixy Liao observe l’intimité pure de son propre couple, qui frôle parfois l’absurde. Experimental Relationship donne lieu à une lutte des identités, remet en perspective les rôles du féminin et du masculin en même temps qu’elle interroge le genre. Une photographie a-sexuelle, qui donne à voir le corps nu dans son aspect primitif – et qui devient par là non plus un évènement suscitant le désir, mais une situation ordinaire et parfois même comique. Pour autant, elle n’exclut aucunement une profonde tendresse et une grande sensualité. Au-delà de cela, Pixy Liao lève le voile sur ce que cette intimité brute d’une relation amoureuse peut avoir de déraisonnable, d’effrayant et de paradoxal.
Alice Khol est l’autrice de 365 degrés (D’amour), traduction poétique de ses réflexions, soit autant d’histoires qui documentent les multiples facettes du lien à l’autre. En insérant des discussions SMS ou en incluant des lettres, elle aborde ainsi autant les interrogations des un·es et des autres sur la signification de l’amour que sur sa mise en pratique, la possibilité d’échapper à une histoire déséquilibrée, ou encore les lieux d’où l’amour est absent. Avec pour objectif, in fine, de réenchanter le sentiment amoureux.
Pour finir, peut-on penser un amour synthétique ? Vincent Muller a quant à lui suivi des « doll lovers » pendant près d’un an, c’est-à-dire des hommes qui ont « adopté » une poupée, et la considèrent comme un être vivant, la font parler, la mettent en scène, inventent pour elle des scénarios. Derrière ces profils, contrairement à ce que l’on pourrait présumer, rien d’indique une inadaptation sociale ou encore un célibat difficile. Les poupées ne sont pas non plus employées comme un substitut sexuel. D’après l’écrivaine et anthropologue Agnès Giard, cette pratique intervient comme un refus de reproduire la « comédie sociale », puisque leurs propriétaires ne seraient plus contraints de performer leur virilité.