Odette England : armes de proies

18 juillet 2024   •  
Écrit par Gwénaëlle Fliti
Odette England : armes de proies
© Odette England
Photographie d'archives collectée par Odette England montrant un femme cachant son visage.
© Odette England

Dans Woman Wearing Ring Shields Face From Flash, Odette England met en lumière le parallèle existant entre photographie et armes à feu. La série soulève notamment les rapports de domination de même que les violences ordinaires et domestiques contre les femmes.

Une femme place sa main gauche ornée d’une alliance devant son visage, paume ouverte vers l’objectif qui la vise. Le geste est franc. Il signale son refus d’être prise en photo. La personne qui tient l’appareil est un homme, certainement son époux, son père, ou un ami proche. Des images vernaculaires comme celles-ci, datant des années 1930 à la fin du 20e siècle, l’artiste visuelle et docteure en philosophie et histoire de l’art anglo-australienne Odette England en a récupéré des centaines. Voilà cinq ans qu’elle les collectionne – les chinant en brocante ou en ligne. Ces archives constituent la base de sa série intitulée Woman Wearing Ring Shields Face From Flash, qui pointe les rapports de domination ainsi que les violences ordinaires et domestiques contre les femmes : « Un assaut constant, peu importe l’époque, l’âge, la couleur de peau ou le milieu social », précise-t-elle.

Photographie d'archives collectée par Odette England montrant un homme braquant un appareil photo.
© Odette England
Photographie d'archives collectée par Odette England montrant un femme cachant ses yeux.
© Odette England
Photographie d'archives collectée par Odette England montrant un homme prenant une photo.
© Odette England
Photographie d'archives collectée par Odette England montrant un femme cachant son visage.
© Odette England

Un lien entre photographie et armes à feu

Viennent s’ajouter à sa collection des images d’hommes braquant leur arme à feu sur les femmes de la même manière qu’avec un appareil photo : l’œil dans le viseur et le doigt sur le déclencheur. Il est vrai que l’on charge un boîtier de pellicule comme on charge un revolver de balles. Ce champ lexical commun, simple hasard ? Au cours de son enquête, l’universitaire s’aperçoit qu’entre 1978 et 1981, Kodak avait choisi pour slogan « Ready. Aim. Flash. » – « Prêt. Visez. Flashez.» –, une expression inspirée de l’infanterie qui criait à ses soldats : « Ready, aim, fire! » Odette England n’est pas la seule à avoir eu cette réflexion. L’essayiste américaine Susan Sontag et l’historien de l’art Teju Cole ont écrit sur le vocabulaire commun entre armes à feu et appareils photo. En 2019, dans un article du New York Times, ce dernier a établi que « lorsque nous parlons de « shooting » pour une prise de vue, nous reconnaissons la parenté de la photographie et de la violence ».

De la même manière, Odette England s’interroge : « Dans quelle mesure cela impacte-t-il la pratique de la photographie ? N’y a-t-il pas d’autres mots ? Comment pourrions-nous décrire la photographie sans l’associer à la violence, au non-consentement, et au non-respect des personnes photographiées ? » Au-delà du langage, l’artiste fait une autre découverte : « La technologie sur laquelle repose les composants de l’appareil photo a été calquée sur celle des armes à feu. » Elle raconte avoir appris que la pellicule souple en rouleau Kodak n’aurait pas existé sous cette forme si le fondateur de la marque, l’Américain George Eastman (1854-1932) n’avait pas intégré dans la composition du film, du celluloïd – issu de la nitrocellulose, que l’on retrouve dans la poudre B, un explosif. Pas si étonnant quand on sait que, d’après ses recherches, les fabricants d’appareils photo et d’armes à feu ont souvent partagé les mêmes bâtiments dans les années 1930. « Cela me fascine », avoue la chercheuse.

La suite de cet article est à retrouver dans Fisheye #66.

Photographie d'archives collectée par Odette England montrant un homme braquant un fusil sur le photographe.
© Odette England
À lire aussi
Marisol Mendez : Madones contemporaines 
© Marisol Mendez
Marisol Mendez : Madones contemporaines 
Dans MADRE, Marisol Mendez interroge la représentation blanche, misogyne et coloniale qui pèse sur les femmes du peuple autochtone…
11 juillet 2024   •  
Écrit par Ana Corderot
Dans l’œil de Rafael Heygster : la guerre, un business lucratif
© Rafael Heygster
Dans l’œil de Rafael Heygster : la guerre, un business lucratif
Rafael Heygster s’intéresse à la commercialisation de la guerre au sein de notre culture. Pour Fisheye, il revient sur une de ses images….
21 août 2023   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Explorez
Mode et séduction : Austn Fischer allie art et Tinder
© Austn Fischer
Mode et séduction : Austn Fischer allie art et Tinder
Installé à Londres, Austn Fischer puise dans les ressorts de la communauté LGBTQIA+ pour interroger les notions traditionnelles de genre....
Il y a 2 heures   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Eleana Konstantellos : faire vrai pour voir le faux
Chupacabras © Eleana Konstantellos
Eleana Konstantellos : faire vrai pour voir le faux
Eleana Konstantellos développe, depuis 2019, de nombreux projets photographiques mêlant mise en scène et recherche...
19 novembre 2024   •  
Écrit par Hugo Mangin
La sélection Instagram #481 : par ici la monnaie
© Suzy Holak / Instagram
La sélection Instagram #481 : par ici la monnaie
Est-ce un vice de vouloir posséder de l’argent et des biens ? Bijoux ou billets de banque, tout élément tape-à-l’œil attire le regard des...
19 novembre 2024   •  
Écrit par Marie Baranger
Les images de la semaine du 11.11.24 au 17.11.24 : la politique dans le viseur
L’ancien président Donald Trump avec ses fils, des membres du parti et des supporter·ices lors de la convention nationale républicaine à Milwaukee, dans le Wisconsin, le 15 juillet 2024 © Joseph Rushmore.
Les images de la semaine du 11.11.24 au 17.11.24 : la politique dans le viseur
C’est l’heure du récap ! La politique et les questions sociétales sont au cœur de cette nouvelle semaine de novembre.
17 novembre 2024   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Mode et séduction : Austn Fischer allie art et Tinder
© Austn Fischer
Mode et séduction : Austn Fischer allie art et Tinder
Installé à Londres, Austn Fischer puise dans les ressorts de la communauté LGBTQIA+ pour interroger les notions traditionnelles de genre....
Il y a 2 heures   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Elie Monferier : visible à la foi
© Elie Monferier
Elie Monferier : visible à la foi
À travers Sanctuaire – troisième chapitre d’un projet au long cours – Elie Monferier révèle, dans un noir et blanc pictorialiste...
Il y a 7 heures   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Visions d'Amérique latine : la séance de rattrapage Focus !
© Alex Turner
Visions d’Amérique latine : la séance de rattrapage Focus !
Des luttes engagées des catcheuses mexicaines aux cicatrices de l’impérialisme au Guatemala en passant par une folle chronique de...
20 novembre 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Richard Pak tire le portrait de l’île Tristan da Cunha
© Richard Pak
Richard Pak tire le portrait de l’île Tristan da Cunha
Avec Les îles du désir, Richard Pak pose son regard sur l’espace insulaire. La galerie Le Château d’Eau, à Toulouse accueille, jusqu’au 5...
20 novembre 2024   •  
Écrit par Costanza Spina