Dans Woman Wearing Ring Shields Face From Flash, Odette England met en lumière le parallèle existant entre photographie et armes à feu. La série soulève notamment les rapports de domination de même que les violences ordinaires et domestiques contre les femmes.
Une femme place sa main gauche ornée d’une alliance devant son visage, paume ouverte vers l’objectif qui la vise. Le geste est franc. Il signale son refus d’être prise en photo. La personne qui tient l’appareil est un homme, certainement son époux, son père, ou un ami proche. Des images vernaculaires comme celles-ci, datant des années 1930 à la fin du 20e siècle, l’artiste visuelle et docteure en philosophie et histoire de l’art anglo-australienne Odette England en a récupéré des centaines. Voilà cinq ans qu’elle les collectionne – les chinant en brocante ou en ligne. Ces archives constituent la base de sa série intitulée Woman Wearing Ring Shields Face From Flash, qui pointe les rapports de domination ainsi que les violences ordinaires et domestiques contre les femmes : « Un assaut constant, peu importe l’époque, l’âge, la couleur de peau ou le milieu social », précise-t-elle.
Un lien entre photographie et armes à feu
Viennent s’ajouter à sa collection des images d’hommes braquant leur arme à feu sur les femmes de la même manière qu’avec un appareil photo : l’œil dans le viseur et le doigt sur le déclencheur. Il est vrai que l’on charge un boîtier de pellicule comme on charge un revolver de balles. Ce champ lexical commun, simple hasard ? Au cours de son enquête, l’universitaire s’aperçoit qu’entre 1978 et 1981, Kodak avait choisi pour slogan « Ready. Aim. Flash. » – « Prêt. Visez. Flashez.» –, une expression inspirée de l’infanterie qui criait à ses soldats : « Ready, aim, fire! » Odette England n’est pas la seule à avoir eu cette réflexion. L’essayiste américaine Susan Sontag et l’historien de l’art Teju Cole ont écrit sur le vocabulaire commun entre armes à feu et appareils photo. En 2019, dans un article du New York Times, ce dernier a établi que « lorsque nous parlons de « shooting » pour une prise de vue, nous reconnaissons la parenté de la photographie et de la violence ».
De la même manière, Odette England s’interroge : « Dans quelle mesure cela impacte-t-il la pratique de la photographie ? N’y a-t-il pas d’autres mots ? Comment pourrions-nous décrire la photographie sans l’associer à la violence, au non-consentement, et au non-respect des personnes photographiées ? » Au-delà du langage, l’artiste fait une autre découverte : « La technologie sur laquelle repose les composants de l’appareil photo a été calquée sur celle des armes à feu. » Elle raconte avoir appris que la pellicule souple en rouleau Kodak n’aurait pas existé sous cette forme si le fondateur de la marque, l’Américain George Eastman (1854-1932) n’avait pas intégré dans la composition du film, du celluloïd – issu de la nitrocellulose, que l’on retrouve dans la poudre B, un explosif. Pas si étonnant quand on sait que, d’après ses recherches, les fabricants d’appareils photo et d’armes à feu ont souvent partagé les mêmes bâtiments dans les années 1930. « Cela me fascine », avoue la chercheuse.
La suite de cet article est à retrouver dans Fisheye #66.