Paysages monstrueux : l’impact de la main humaine

Paysages monstrueux : l'impact de la main humaine
© Grégoire Eloy / Grande commande photojournalisme
© Letizia Le Fur / Grande commande photojournalisme
© William Daniels / Grande commande photojournalisme

Le Centre Claude Cahun s’aventure à la frontière entre les notions de paysage et de territoire dans une double exposition collective de photographies documentaires. Jusqu’au 19 août 2024, William Daniels, Letizia Le Fur, Julien Magre, et Grégoire Eloy, lauréat·es de la grande commande nationale Radioscopie de la France : regards sur un pays traversé par la crise sanitaire, offrent une lecture écologique et sociale des paysages en transformation marqués par l’intervention humaine.

Si la crise sanitaire de covid-19 a interrompu la planète par le confinement, les paysages eux n’ont cessé d’évoluer. La trace de l’activité humaine, qu’elle soit passée ou présente, se dessine de plus en plus crûment sous l’effet du réchauffement climatique. Mais la nature, toujours plus forte, n’hésite pas à reprendre ses droits. La faune et la flore se réapproprient les lieux. Les humain·es, en quête de mondes meilleurs, traversent les territoires marqués par les frontières physiques ou imaginaires. Divisée en deux parties, Au bord du monde au parc du Grand Blottereau et Au fond du temps au Centre Claude Cahun, l’exposition Paysages monstrueux questionne les notions de paysages et de territoires à l’heure où chaque centimètre de terre est répertorié sur Google Earth. William Daniels et Letizia Le Fur, dans leur écriture documentaire, dénoncent l’impact de l’activité humaine sur l’environnement. Du fait de la sécheresse ou de la pollution nucléaire, le paysage se dégrade, se vide, se contamine au point de devenir un monstre. Julien Magre, et Grégoire Eloy quant à eux, explorent les pas qui s’impriment sur les territoires et laissent leurs marques indélébiles. Le loup et ses mythes réinvestissent la Corrèze, et des militant·es écologistes et défenseur·euses des droits de l’Homme sillonnent la montagne pour venir en aide aux exilé·es. Au croisement de ses quartes séries photographiques, une ligne directrice : « Comment et pourquoi dénoncer l’inquiétante étrangeté quotidienne qui nous saisit lorsque sont évoqués les grands faits d’actualité qui cisèlent nos paysages en des monstres tapis dans l’ombre ? »

La montagne, témoin d’humanité

Grégoire Eloy, du collectif Tendance Floue, avec sa série le Beau geste, propose une approche sociale et humaine du paysage. Entre 2021 et 2023, il part documenter le parcours de celles et ceux qui foulent les sentiers de Briançon et de la Vallée de la Roya. Réfugié·es, citoyen·nes, maraudeur·euses, associations, tout·es écrivent sur le flanc de la montagne, à la frontière franco-italienne, l’histoire de la transformation silencieuse des territoires, ceux meurtris par la guerre ou le réchauffement climatique. L’engagement de Grégoire Eloy ne se limite pas à la photographie. Tout au long de son projet, il est devenu bénévole auprès de l’Association Tous Migrants, qui vient en aide à celles et ceux qui tentent de traverser la périlleuse montagne. Dans son journal de bord, il confie : « Vu la situation d’urgence et la précarité des personnes exilées, il me semble peu concevable de travailler sur un tel sujet dans la durée sans m’impliquer humainement. »

Cependant, la prise de vue s’avère complexe. Peu sont enclins à se laisser prendre en photo par peur de représailles des forces de l’ordre qui patrouillent constamment dans les parages. Au fur et à mesure de son parcours, les photographies s’impriment sur le capteur. Les paysages enneigés et les vestiges de campements témoignent des épreuves traversées. Le jeu du flou dissimule les acteurices engagé·es pour les droits humains, tandis que l’utilisation de la caméra thermique dévoile les heures nocturnes des traversées clandestines. Dans le travail de Grégoire Eloy, la montagne et la nuit deviennent le théâtre d’une rencontre humaine poignante. Il nous invite à porter un regard nouveau sur ces paysages marqués par l’histoire, à écouter les récits de celles et ceux qui l’aprentent, et à tendre la main vers l’autre.

© Julien Magre / Grande commande photojournalisme
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