Poésies marginales

21 décembre 2020   •  
Écrit par Finley Cutts
Poésies marginales

Le photographe Hugo Weber célèbre la poésie des mondes rejetés. L’artiste révèle à travers ses récits introspectifs et immersifs une intimité vibrante, à l’encontre des clichés. Entre contradictions, amitiés et simplicités, son premier livre 5341, raconte le quotidien des résidents d’une banlieue prolétaire de Milan.

« Je voyais les photographes comme des flemmards, qui, en appuyant sur un bouton, se disait artiste »,

Hugo Weber, ne mâche pas ses mots. Venant du milieu graph, l’auteur s’exaltait de l’action dans l’art de rue, et voyait la valeur esthétique dans le tangible et l’éphémère. C’est en essayant l’argentique dans le cadre de son Bac pro graphisme qu’est apparue une passion pour le médium. Né à Paris, il passe son enfance à Grigny, puis part à Milan à l’âge de 10 ans. « J’utilise les histoires des autres pour parler de moi ou pour explorer des mondes, sans être jugé par la société », confie le jeune homme qui se jette corps et âme dans ses images. En témoignent ses projets : son travail en cours dans les bidonvilles d’Aubervilliers, sa résidence dans le cadre du Tremplin Jeunes Talents à Deauville, ou encore son premier livre photo 5341.

Après avoir enchaîné les petits boulots pendant presque dix ans – en parallèle d’un travail d’assistant de photographes – il décide de tout lâcher pour développer un travail personnel. « Entre 2017 et 2018, c’est devenu la photographie ou rien, si je venais à ne pas en vivre, alors je serais devenu un marginal », explique l’auteur. Le dernier photographe qu’il assista, Alex Majoli membre de l’Agence Magnum, lui fait comprendre un élément essentiel : pour réussir, il faut tout risquer. Le résultat ? Des images vibrantes.

© Hugo Weber

La magie dans ces vies complexes

Pour son premier livre, en collaboration avec le photographe, Denny Mollica, il a choisi de raconter la vie d’un quartier sensible. C’est là qu’il se reconnait. « J’ai grandi dans la rue, j’ai beaucoup de facilité à me projeter dans les difficultés quotidiennes, confie-t-il. Je rends hommage à ma jeunesse au sein du quartier, le plus loin possible des clichés de gangsters et des jugements ». En Italie, chaque rue porte un code d’identification, et pour la via Boifava, située dans une banlieue prolétaire du sud de Milan, c’est 5341. « Des jeunes du quartier ont pris le code de leur rue et l’ont revendiqué comme symbole. Ils l’ont entre autres décliné en tatouage, ou tag », raconte le photographe. Une fierté, à première vue paradoxale, quand on considère la marginalisation de ces habitants. Hugo Weber livre un récit honnête, et sans superflu. Il témoigne ainsi des douces contradictions – si humaines – de ce quartier.

Plongé dans ce monde pendant sept mois, il documente les moments les plus touchants du quotidien. « Mon point fort c’est l’intimité, et donc, quand je veux raconter quelque chose, je me plonge dedans et je le vis, sans a priori, et sans jugement », revendique l’auteur. Se reconnaissant dans cette galère, dans cette poésie urbaine, Hugo Weber crée des images à l’instinct, sur le vif, et cherche à voir la magie dans ces vies complexes. Il s’intègre totalement pour finalement disparaître dans le paysage. « Je ne cherche pas à être le photographe, mais simplement Hugo. Avec certains, ça prend deux jours et avec d’autres, six mois, mais si je veux faire des photos, je vais les faire », et des images, il en a fait. Armes à feu, drogues, tatouages, mais aussi embrassades, entre amis, et membres de la famille… L’auteur dresse un portrait sincère de ces personnes oubliées. En ressort des moments simples – faits de joie, de mélancolie et d’ennui.

© Hugo Weber

La beauté d’une vie à la marge

« C’est des gars super gentils, qui galèrent à mort et se retrouvent à créer un gang, une deuxième famille, pour se sentir exister, dans un quartier-dortoir, où, de toute façon, on leur répète à longueur de journée qu’ils vont y crever. C’est l’histoire de beaucoup de jeunes dans le monde qui se retrouve marginalisés »,

poursuit Hugo Weber. Manifeste de liberté, et d’autonomie, 5341 célèbre ces personnes invisibles, et montre que leurs vies difficiles peuvent devenir une force. Le photographe voit la beauté de ces réalités, et s’y abandonne entièrement pour mieux les valoriser.

Engagé, l’auteur n’a qu’un objectif : mettre en lumière les personnes délaissées par les normes sociales. En témoigne son projet en cours, MONIKA, la bohémienne des Gravats. Il relate dans cette série la vie d’une peintre junkie, transsexuelle, vivant dans un bidonville dans la banlieue nord de Paris. Convaincu qu’il doit au maximum s’identifier à son sujet pour produire le meilleur travail, il partage ses craintes : « J’ai peur de passer à quelque chose d’autre, de transposer cette poésie dans d’autres contextes. Je suis vraiment terrorisé à l’idée de devenir une caricature de moi-même et de tourner en rond ».

© Hugo Weber

© Hugo Weber© Hugo Weber

© Hugo Weber

© Hugo Weber© Hugo Weber

© Hugo Weber

© Hugo Weber© Hugo Weber

© Hugo Weber

© 5341, Hugo Weber

© Hugo Weber© Hugo Weber© Hugo Weber

© « MONICA, la bohémienne des Gravats », Hugo Weber

Explorez
Polaraki : une collection de polaroids d'Araki sort d'un appartement parisien
Sans titre, Araki Nobuyoshi 1990 -2024 © Nobuyoshi Araki © Musée Guimet, Paris, Nicolas Fussler
Polaraki : une collection de polaroids d’Araki sort d’un appartement parisien
Jusqu'au 12 janvier 2026, le musée des arts asiatiques - Guimet accueille une collection foisonnant de polaroids, issue de l’œuvre du...
06 octobre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Les coups de cœur #561 : Julie Brochard et Anna Prudhomme
© Anna Prudhomme
Les coups de cœur #561 : Julie Brochard et Anna Prudhomme
Julie Brochard et Anna Prudhomme, nos coups de cœur de la semaine, ont puisé l’inspiration dans la maison de leurs grands-parents. La...
06 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Grace Land : Nick Prideaux transcrit son expérience de la perte
© Nick Prideaux
Grace Land : Nick Prideaux transcrit son expérience de la perte
Dans le cadre d’une résidence artistique à la Maison de la Chapelle, au cœur de la Provence, Nick Prideaux a imaginé Grace Land. À...
04 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Contenu sensible
Yushi Li : Boys, Boys, Boys
My Tinder boys © Yushi Li
Yushi Li : Boys, Boys, Boys
Sur Tinder, l'artiste chinoise Yushi Li, installée à Londres, sélectionne des amants qu'elle soumet à son regard féminin. Elle questionne...
02 octobre 2025   •  
Écrit par Thomas Andrei
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Pooya Abbasian remporte la 3e édition du prix Art & Environnement
Oxalis (détail), 2024 © Pooya Abassian
Pooya Abbasian remporte la 3e édition du prix Art & Environnement
Lee Ufan Arles et la Maison Guerlain ont annoncé hier, à la Guerlain Academy, le nom du troisième lauréat de leur prix Art &...
Il y a 4 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
13 expositions photographiques à découvrir en octobre 2025
Residency InCadaqués 2025 © Antoine De Winter
13 expositions photographiques à découvrir en octobre 2025
La rentrée scolaire est souvent synonyme de foisonnement d'expositions. Pour occuper les journées d'automne et faire face à la dépression...
Il y a 8 heures   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Retrouvez Fisheye au Salon de la Photo 2025 !
Untitled, 2008 © Anna Di Prospero
Retrouvez Fisheye au Salon de la Photo 2025 !
La grande halle de la Villette accueille, du 9 au 12 octobre 2025, la nouvelle édition du Salon de la Photo. Rendez-vous en ce début...
Il y a 11 heures   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Rencontres du 10e 2025 : une biennale en prise avec le monde
© Chloé Nicosia, One Hundred Trillion Dollars / Courtesy of the artist and Rencontres photographiques du 10e
Rencontres du 10e 2025 : une biennale en prise avec le monde
Pour cette édition 2025 des Rencontres photographiques du 10e, qui défie une nouvelle fois les attentes, les photographes mis·es en avant...
07 octobre 2025   •  
Écrit par Milena III